Le goût du changement : l’entrepreneuriat féminin en Cisjordanie

En gravissant les marches d’un petit immeuble en béton bordé de chênes et de cyprès, il est difficile de croire qu’on se trouve devant une organisation d’une telle ampleur.

Le service de garde juste à côté emplit les lieux de rires d’enfants qui font naître un sourire sur mes lèvres.

Nous sommes dans le village d’Al-Shyoukh, près d’Hébron, en Cisjordanie, où CARE soutient les employées d’un organisme communautaire qui prépare du maftool, un aliment de base de la cuisine palestinienne qui ressemble au couscous.

À notre arrivée, nous sommes accueillis chaleureusement par Yusra Eweidat, la fondatrice du groupe. Elle nous emmène à l’intérieur, où nous rencontrons quelques-unes des travailleuses, toutes des femmes. La petite pièce dans laquelle elles s’affairent n’est pas plus grande qu’un modeste bureau. Là, quatre femmes versent le maftool dans un grand tambour rond qui tourne et tourne encore pour assécher les petites billes de blé. Jadis, les 21 femmes du groupe passaient des heures à étaler le maftool sur le toit du bâtiment pour le faire sécher. Aujourd’hui, grâce au soutien financier de CARE, elles disposent d’appareils mécaniques qui écourtent considérablement le temps de séchage.

Leur participation à d’innombrables foires et événements communautaires a entraîné une hausse de la demande pour différents produits. À présent, le groupe prépare, emballe et vend des fines herbes, des biscuits, du sirop et bien d’autres choses encore. Ses effectifs ont plus que doublé et comptent dorénavant 51 membres.

Et c’est une bonne chose. Yusra nous explique que les travailleuses sont à pied d’œuvre depuis 4 heures du matin, car il y a des funérailles aujourd’hui dans le village et qu’il faut préparer beaucoup de maftool.

Nous gagnons le bureau de Yusra, où elle s’assoie fièrement. Il est indéniable que c’est elle la patronne ici.

La sonnerie du téléphone retentit sans cesse pendant que nous parlons. Yusra répond à chaque appel avec efficacité et autorité.

« Elle est très sollicitée », glisse en souriant l’une des membres du personnel de CARE en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

À quoi ce groupe de femmes doit-il son succès retentissant?

« CARE a déployé beaucoup d’efforts pour impliquer les leaders masculins de la communauté », explique Yusra.

La participation des hommes est primordiale, et c’est quelque chose que CARE s’efforce de prendre en compte dans tous ses projets. Les hommes doivent prendre part au changement pour que celui-ci soit opérant et durable.

Sur ces entrefaites, le mari de Yusra, Abdel Qader Eweidat, passe par là et ne tarit pas d’éloges sur son épouse et les femmes qui travaillent avec elle.

 « J’encourage toujours les femmes à sortir de la maison. Nous avons ici des femmes très douées dans tous les secteurs d’activité et nous devrions leur donner la chance de se consacrer à ce qu’elles font de mieux. »

« Elle est un modèle, pas seulement ici, mais aussi dans d’autres communautés », ajoute-t-il fièrement. 

À preuve, Yusra nous confie qu’elle doit prendre la route pour l’Égypte tout de suite après notre entretien pour y donner une conférence.

Peu après, Yusra reçoit la visite d’une jeune femme du nom de Bara’a Halayka. Cette étudiante universitaire de seulement 21 ans travaille à temps partiel avec le groupe pour l’aider avec la planification financière, les réunions et la planification stratégique.

« J’ai rencontré Yusra par hasard dans un village et elle m’a persuadée de me joindre au groupe. Je me suis dit que ce serait une bonne expérience pour moi que d’évoluer dans un vrai milieu de travail. À l’université, nous apprenons la planification stratégique, mais nous ne mettons jamais nos connaissances en pratique. Ici, j’ai enfin cette chance. »

À en juger par son sourire radieux et son enthousiasme débordant, il est indéniable qu’elle aime passionnément son travail avec le groupe de femmes et qu’elle est heureuse d’y apporter sa contribution.

« Quand j’aurai terminé mes études universitaires, j’aimerais vraiment créer un site Web pour aider le groupe à vendre ses produits », affirme Bara’a.

Elle a également l’intention de créer un code QR que le groupe pourra apposer sur ses emballages. Les clients pourront ainsi balayer le code avec leur cellulaire et accéder au (futur) site Web du groupe ou à sa page de médias sociaux.

Ainsi, le groupe a non seulement lancé une entreprise prospère, mais il s’efforce de voir plus loin en recrutant une relève pour la faire fructifier davantage.

Tandis que Bara achève sa phrase, Yusra entre dans le bureau avec une énorme assiette de maftool au poulet et aux légumes. Le parfum est incroyable, et le goût encore meilleur.

M’asseoir avec Yusra, Bara’a, Anees et d’autres membres de CARE pour partager un repas et rire un bon coup a été l’un de mes moments préférés de la journée. Des pionnières comme Yusra et les autres ne mesurent pas l’influence qu’elles ont sur les femmes qui se lancent en affaires, mais aussi sur l’avancement de la condition féminine dans cette région du monde.

La hausse du nombre de membres, le recrutement de futurs gestionnaires comme Bara’a et la participation des hommes au développement et à la promotion d’entreprises exploitées par des femmes sont un moteur de changement considérable.

CARE a aidé le groupe à s’organiser en lui fournissant équipement, outils de marketing et soutien communautaire, mais ce sont les femmes elles-mêmes qui ont fait le gros du travail – à force de détermination et de volonté de réussir, de conscience professionnelle et de soif de connaissances. Elles ouvrent la voie à un avenir plus égalitaire non seulement pour leurs voisines, mais aussi pour les femmes de toute la Cisjordanie et peut-être même du monde entier.