Collaborer pour briser le silence entourant les crises humanitaires dans le monde

La couverture médiatique des crises oubliées n’est pas toujours synonyme d’espoir pour les personnes dans le besoin.

Aux quatre coins du monde, des millions de femmes et de jeunes filles sont les victimes silencieuses d’une pauvreté affligeante, d’inégalités et de désastres humanitaires.

La couverture médiatique de ces crises, essentielle pour favoriser la prise de conscience, le soutien et l’aide, n’est pas toujours synonyme d’espoir pour les personnes dans le besoin.

Comment pouvons-nous collaborer pour veiller à ce que les histoires de celles et ceux qui souffrent en silence soient révélées?

En février 2019, CARE a publié son troisième rapport annuel Souffrir en silence. Cette étude vise à cibler les situations d’urgence touchant plus d’un million de personnes ayant été les moins relayées dans les médias britanniques, français et allemands.

Le rapport met en évidence les 10 principales crises absentes des manchettes et propose 8 recommandations quant à la manière dont les gouvernements, les personnalités politiques, les journalistes, les organismes d’aide et les personnes peuvent aider celles et ceux qui, trop souvent, souffrent en silence.

1. Les pays frappés par des crises doivent en informer le reste du monde

Lorsque la souffrance humaine est entourée de silence, ses conséquences sont graves. Les crises négligées sont généralement les plus longues et celles qui reçoivent le moins de soutien financier. Nombre de crises dont fait état le rapport de CARE étant dues à l’insécurité alimentaire et aux risques découlant des changements climatiques, les pays concernés doivent attirer l’attention des médias afin de mieux répondre aux besoins de leur population. Cette démarche consiste non seulement à autoriser les journalistes à couvrir l’information librement et en toute sécurité, mais également à leur fournir de façon proactive toute information supplémentaire concernant les besoins, les réalisations et les lacunes. Dans un paysage numérique fondé sur l’attention et la visibilité, les pays peuvent ainsi afficher leur engagement, et les organes médiatiques relayer les histoires et appeler à des mesures indispensables.

2. L’accès des médias conditionnel à l’aide

L’accès des médias, les problèmes en matière de visas et les agressions à l’encontre des journalistes demeurent les principaux obstacles à la couverture des crises. D’après les derniers chiffres de Reporters sans frontières, les médias sont l’objet d’une vague d’hostilité sans précédent : en 2018, 80 journalistes ont perdu la vie dans le cadre de leur travail, 348 ont été emprisonnés et 60 ont été retenus en otage.

La liberté de la presse est fondamentale pour mettre en lumière des enjeux qui, sinon, tomberaient dans l’oubli. Les États membres de l’ONU, les donateurs et les organismes d’aide doivent conditionner l’aide aux pays en crise à l’accès des médias. Cette condition s’applique non seulement aux médias internationaux, mais également aux journalistes locaux, pour lesquels elle s’avère primordiale.

3. Le finncement humanitaire doit sensibiliser à la crise

La couverture médiatique, la sensibilisation du public et le financement sont étroitement liés. Susciter l’attention constitue donc une forme d’aide. La réduction du budget de l’information se traduisant par une couverture internationale restreinte, le financement humanitaire devrait prévoir des postes budgétaires consacrés à la sensibilisation du public, en particulier dans les pays les plus négligés, à des fins de récolte de fonds. Voilà qui permettrait aux organismes d’aide ainsi qu’aux autres parties prenantes d’offrir aux médias des visites dans les zones en crise, de fournir un soutien logistique aux journalistes indépendants, de filmer des images brutes destinées aux reportages d’actualité ou d’appuyer la formation des journalistes.

4. Les personnalités politiques doivent aussi s’exprimer

À titre individuel, les personnalités politiques peuvent contribuer à susciter l’attention médiatique à l’égard de crises importantes aux yeux de leurs électeurs, notamment les communautés issues de la diaspora, les groupes religieux ainsi que d’autres organismes de la société civile travaillant dans des régions en crise sur la planète.

Dans des pays comme le Canada, des associations parlementaires mettent un point d’honneur à s’exprimer au sujet de questions négligées par les médias. Leurs voix peuvent recevoir un écho favorable, non seulement auprès du gouvernement, mais aussi dans les médias nationaux. Les personnalités du monde politique peuvent en outre s’associer aux organismes de la société civile afin de témoigner et d’aider ces derniers à formuler des questions, des discours et des propositions destinés à sensibiliser un plus large public aux crises oubliées dans le monde.

La liberté de la presse est fondamentale pour mettre en lumière des enjeux qui, sinon, tomberaient dans l’oubli.

5. Le traitement médiatique des crises doit refléter les expériences des femmes et des jeunes filles

Si chacun est vulnérable en contexte de crise, les femmes et les jeunes filles le sont d’autant plus. Lorsque sévit la violence extrême, la famine ou une catastrophe climatique, elles sont les premières à être victimes de trafic sexuel et d’exploitation de la main-d’œuvre enfantine, les premières à servir d’instruments de guerre et les premières à perdre leur enfance. Simultanément, elles sont les dernières à manger, les dernières à s’inscrire à l’école et, trop souvent, celles dont la vie compte le moins.

Il est souvent difficile d’attribuer des fonds à la protection des femmes et des enfants alors que d’autres besoins urgents, comme l’eau et la nourriture, sont considérés comme prioritaires. Le soutien pourtant essentiel en matière de conseil traumatologique, de santé génésique et de lutte contre la violence à caractère sexiste demeure sous-financé.

Rendre compte de la misère et de l’adversité qui frappent les femmes et les enfants s’avère fondamental pour faire entendre leurs voix et répondre à leurs inquiétudes. Les organes médiatiques qui traitent de questions délicates telles que la violence et les mauvais traitements fondés sur le genre doivent veiller à doter leurs journalistes de la formation appropriée en ce qui a trait aux entrevues et aux pratiques de consentement.

6. Les journalistes et les organismes d’aide peuvent collaborer pour relayer des histoires plus nuancées, plus souvent

La prépondérance de la presse en ligne suppose que les anciennes contraintes d’espace ou de temps propres à un journal ou à un bulletin d’information sont désormais abolies. À l’ère du Web, les possibilités qui s’offrent au journalisme en matière de reportage sont illimitées et transcendent le temps et l’espace.

Les directrices et directeurs de l’information doivent aussi remettre en question le postulat selon lequel le public ne s’intéresse pas à l’actualité humanitaire. D’après un sondage réalisé par l’Université d’East Anglia, environ 60 % des gens affirment suivre davantage l’actualité relative aux désastres humanitaires que tout autre type de nouvelles internationales.

Si les pressions financières peuvent limiter la capacité des organes médiatiques à dépêcher des journalistes à l’étranger, les directives relatives au conflit d’intérêts doivent faire l’objet d’un examen critique visant à déterminer si le fait de raconter une histoire importante légitime ou non celui d’accepter l’appui logistique de donateurs ou d’organismes d’aide pour couvrir une crise. De toute évidence, les actrices et acteurs humanitaires ne sauraient s’attendre à une couverture favorable sous prétexte qu’ils aident les journalistes à entrer en contact avec les populations concernées. Tout comme les principes humanitaires qui sous-tendent le travail d’aide, l’éthique journalistique doit respecter les normes les plus élevées. Pour s’assurer que les histoires de celles et ceux qui souffrent en silence sont relayées, les journalistes et les actrices et acteurs humanitaires doivent collaborer en tenant compte de leur éthique professionnelle respective.

7. Nous pouvons mettre fin à la souffrance en brisant notre propre silence

Sensibiliser le public et attirer son attention sur les crises et les catastrophes ne reposent pas uniquement sur les médias. Les organismes d’aide peuvent et doivent contribuer à mettre en lumière les crises négligées et à donner voix aux personnes touchées. Les organismes doivent non seulement s’entourer de spécialistes de la communication et des médias, mais aussi concevoir des moyens innovants de s’adresser aux gens, dans un contexte de financement humanitaire limité. Les organismes peuvent par exemple recruter des experts en communication à la pige en partenariat avec d’autres organismes ou proposer des formations communes aux journalistes locaux.

8. Joindre le geste à l’information

L’aide exérieure et l’actualité humanitaire vous intéressent? Apportez-leur votre soutien. S’abonner à des organes médiatiques reflétant ses intérêts personnels, complimenter les journalistes pour la qualité de leur travail ou faire valoir l’importance des enjeux humanitaires auprès des journalistes et des directrices et directeurs de l’information : les lectrices et les lecteurs disposent de nombreux moyens de soutenir les médias rendant compte des crises humanitaires. Les donateurs peuvent en outre contribuer aux programmes de bourses, dont certains appuient les reportages à l’étranger et le journalisme indépendant dans les pays en développement ou en crise.

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Consultez le rapport de CARE Souffrir en silence, qui recense les 10 crises humanitaires les moins relayées par les médias britanniques, français et allemands en 2018.