Les liens étroits entre la santé, l’alimentation et le rôle des femmes dans le contexte de la COVID-19

Pour des milliers de personnes de partout dans le monde, les répercussions de la COVID-19 se traduiront principalement par l’indisponibilité ou l’inaccessibilité des ressources alimentaires, dont les prix pourraient flamber.

Par Gregory Spira, responsable des programmes de sécurité alimentaire et d’adaptation aux changements climatiques de CARE Canada

Le 20 mai, le cyclone Amphan a touché terre au Bengale-Occidental, emportant sur son passage les animaux d’élevage et ravageant les cultures, les abris et les résidences d’une partie de l’Inde et du Bangladesh. Ayant provoqué des dommages estimés à 13,4 milliards de dollars américains, Amphan est le cyclone le plus ravageur jamais enregistré au nord de l’océan Indien.

Cette catastrophe s’ajoute à l’horreur vécue par les citoyennes et citoyens des régions touchées par la COVID-19. En effet, les personnes confinées avaient déjà épuisé leurs réserves de nourriture et d’articles de première nécessité. Dans les États touchés, quelque deux millions de migrants, forcés de retourner chez eux après avoir perdu leur emploi, ont été entassés dans les établissements de quarantaine. Les gouvernements de ces États avaient déjà épuisé leurs ressources financières et leurs réserves alimentaires.

À ce jour, on estime que dans le seul État indien d’Odisha, quatre millions de personnes souffrent de la faim, de la malnutrition et de la pauvreté, et donc plus exposées aux maladies.

Des communautés pauvres et marginalisées de partout dans le monde se butent aux mêmes problèmes.

La pandémie de la faim

Pour des milliers de personnes des quatre coins de la planète – des Premières Nations établies au nord aux communautés urbaines du Sud frappées par la pauvreté ‒, les répercussions de la COVID-19 se traduiront principalement par l’indisponibilité ou l’inaccessibilité des ressources alimentaires, dont les prix pourraient flamber.

Dans ce contexte, il est d’autant plus difficile pour les personnes vulnérables d’accéder à des aliments sains en quantité suffisante en raison des contraintes liées au déplacement et de la perte de leur revenu. Les personnes pratiquant l’agriculture doivent également composer avec l’interruption de l’accès aux marchés, aux moyens de transport, au matériel agricole de base et à l’information, ce qui complique encore plus les choses. En plus de compromettre les récoltes, la COVID-19 a des répercussions sur le revenu des ménages de même que sur la disponibilité des produits alimentaires et leurs prix.

Les leaders politiques de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire ont dû faire un choix déchirant : ralentir la propagation du virus ou priver des millions de personnes de leur revenu et de nourriture.

À l’échelle mondiale, les estimations donnent le vertige. Le Programme alimentaire mondial prévoit en effet que 265 millions de personnes pourraient souffrir de la faim d’ici la fin de l’année 2020.

Les femmes sur la ligne de front

Les populations vulnérables, y compris les femmes, les communautés autochtones et d’autres communautés touchées par la pauvreté extrême, seront frappées de plein fouet.

La COVID-19 a des répercussions sur les femmes et les jeunes filles, qui sont déjà aux premières lignes de la crise en tant que soignantes et qui doivent assumer encore plus de responsabilités. Les cas de violence fondée sur le genre atteignent des sommets alarmants, les femmes étant confinées avec leurs agresseurs. Par ailleurs, des millions de femmes travaillant dans des secteurs majoritairement féminins, comme l’industrie du vêtement et l’entretien ménager, ont perdu leur emploi.

À l’échelle mondiale, les femmes sont également beaucoup plus nombreuses que les hommes à assurer l’apport en nourriture des ménages : on estime qu’elles se chargent de la préparation des repas dans une proportion de 85 à 90 %, qu’elles font la plupart des courses et qu’elles investissent davantage dans l’alimentation de leurs enfants. Dans les pays en développement, les femmes représentent 43 % de la main-d’œuvre agricole, mais touchent un salaire deux fois moins élevé que les hommes. Les femmes et les jeunes filles sont également plus nombreuses à souffrir d’insécurité alimentaire, puisqu’elles sont souvent les dernières à accéder à de la nourriture en temps de crise.

En revanche, ces statistiques ne tiennent pas compte des immenses progrès qui ont été faits au cours des dernières années. Partout dans le monde, de plus en plus d’agricultrices ont accès à des terres de qualité. Elles sont plus nombreuses que jamais à cultiver les aliments dont elles ont besoin et à toucher un revenu. Ces progrès, qui ont mis des décennies à se concrétiser, connaissent aujourd’hui un inquiétant ralentissement.

Par exemple, au tout début de la crise de la COVID-19, des commerçantes de petites villes rurales du Honduras ont fermé leurs établissements et utilisé les stocks destinés à la vente pour nourrir leurs propres familles. Celles qui dépendaient de ces commerces pour subvenir à leurs besoins quotidiens étaient démunies. Les personnes pratiquant l’agriculture, en particulier les femmes, ne pouvaient se déplacer pour acheter les semences, fertilisants et autres produits essentiels au maintien de leurs cultures, alors que la période des semis venait de commencer.

En raison de la COVID-19, les droits des femmes de même que les gains économiques pourraient connaître le recul le plus important des dernières décennies.

La situation au Canada

Tandis que le gouvernement du Canada surveille les potentielles répercussions de la COVID-19 sur la sécurité alimentaire mondiale, des Canadiennes et Canadiens de tous horizons, y compris des agricultrices et des agriculteurs, des personnes issues du milieu universitaire et de la société civile et des membres du parlement, travaillent à définir les priorités du Canada en la matière.

Les parties prenantes s’entendent sur la nécessité de faire en sorte que les personnes vulnérables aient accès à de la nourriture en quantité suffisante, et que celles qui pratiquent l’agriculture, particulièrement les femmes, puissent accéder aux ressources dont elles ont besoin pour cultiver, récolter et entreposer leurs produits et les transporter vers les marchés.

Le Canada veillera également à ce que les mesures de relance économique à long terme soient orientées vers le rétablissement des systèmes alimentaires locaux, le renforcement de la chaîne de valeur et sa capacité à absorber divers contrecoups, y compris ceux provoqués par les pandémies et les changements climatiques, de même que la satisfaction des besoins des femmes et des hommes.

La COVID-19 constitue la plus importante menace au développement humain depuis l’adoption de l’Indice de développement humain en 1990. C’est pourquoi le monde a besoin de leaders inspirants, maintenant plus que jamais – malheureusement, ces personnes se font rares.

Le Canada doit saisir l’occasion qui lui est donnée de faire honneur aux valeurs féministes mises de l’avant dans sa politique étrangère en veillant à ce qu’une partie des milliards de dollars devant servir à atténuer les répercussions de la COVID-19 soit distribuée aux femmes qui se trouvent sur la ligne de front et qui s’efforcent de faire émerger de cette crise des valeurs écologiques et inclusives.

En plaçant les entrepreneures, les agricultrices, les soignantes et les commerçantes au cœur de notre stratégie visant à éradiquer la COVID-19, nous pourrons défendre nos acquis en matière de droits de la personne et de développement tout en renforçant la sécurité de toutes et de tous à l’échelle mondiale.