RENCONTRE AVEC LA DRE GISMA AWAD HASSAN RWAH

La Dre Gisma Awad Hassan Rwah est l’unique médecin du centre de santé de CARE. Tessa Bolton/CARE Canada

RENCONTRE AVEC LA DRE GISMA AWAD HASSAN RWAH

Par Tessa Bolton, CARE Canada

Pendant plus de 10 ans, la guerre du Darfour a complètement coupé du monde le village de Gorlangbang et la majeure partie du sud du djebel Marra. C’est dans le sillage de l’accord de paix de Djouba conclu en 2020 que les organismes humanitaires ont finalement pu se rendre dans la région pour la première fois. Les besoins sur place se sont révélés colossaux, et pour cause : durant plus d’une décennie, le conflit a empêché tout accès extérieur aux soins, à l’alimentation, à l’eau et à l’éducation. D’énormes difficultés continuent d’ailleurs à se poser au chapitre de la sécurité et de l’acheminement des ressources. Toujours sous le contrôle de l’Armée de libération du Soudan (ALS), le sud du djebel Marra ne dispose ni de l’électricité, ni de l’eau courante, ni d’un réseau téléphonique fiable. En outre, la route d’accès à Gorlangbang reste bloquée en raison du conflit en cours. Pour pouvoir atteindre le village, il faut donc rouler près de cinq heures, franchir d’innombrables postes de contrôle, traverser la zone neutre, puis effectuer un éprouvant périple de plus de trois heures à dos d’âne ou de chameau.

Mais CARE n’a pas pour autant choisi de baisser les bras. Nous sommes l’unique organisation non gouvernementale présente à Gorlangbang et l’une des trois seules à intervenir dans le sud du djebel Marra. À ce titre, nous nous efforçons de tisser des relations de confiance avec les dirigeants locaux, le gouvernement, l’armée et l’ALS afin de sécuriser l’accès à la zone et de pouvoir apporter notre aide aux plus démunis.

Au cours des 18 derniers mois, soutenu par Affaires mondiales Canada, CARE a bâti dans le village un centre de santé et de nutrition, redonnant vie au passage à l’industrie locale de fabrication des briques. Nous avons également offert notre soutien et une formation adaptée à des auxiliaires de santé, à des pharmaciens, à des sages-femmes, à des aides en diététique ainsi qu’à des bénévoles en santé communautaire, tous issus de la région. Enfin, nous continuons d’assurer l’acheminement de l’équipement, des fournitures et des médicaments nécessaires au cœur de ce territoire montagneux.

La Dre Gisma Awad Hassan Rwah est l’unique médecin du centre de santé de CARE. Nous avons eu le privilège de nous entretenir avec elle afin de découvrir son travail et son combat quotidien pour sauver des vies, dans un contexte particulièrement dégradé.

POUVEZ-VOUS NOUS PARLER UN PEU DE VOUS?

J’ai 34 ans et je suis originaire des monts Nouba, dans l’État du Kordofan du Sud. Mais la plupart des membres de ma famille vivent aujourd’hui à Khartoum.

Sans enfants, je suis mariée – mon époux habite dans le Dakota du Sud, aux États-Unis.

J’exerce la médecine depuis sept ans. Je travaille actuellement au centre de santé de Gorlanbang.

« J’ai choisi de devenir médecin, car c’est une profession d’une importance capitale. Ce métier me permet de sauver de nombreuses vies et d’aider des personnes en situation d’urgence. Il me donne aussi les moyens de soulager la souffrance, de lutter contre la maladie et même d’apaiser la douleur psychologique. En bref, c’est une profession extraordinaire. »

Dre Gisma Awad Hassan Rwah

POURQUOI AVOIR CHOISI DE VENIR À GORLANBANG, ALORS QUE LE VILLAGE EST ÉLOIGNÉ DE CHEZ VOUS ET TRÈS DIFFICILE D’ACCÈS EN RAISON DE LA GUERRE?

C’est l’ampleur des besoins dans la région qui a motivé ma décision. Je voulais apporter mon aide à la population, et aucun médecin ne s’était rendu ici durant plus d’une décennie. J’exerce à Gorlangbang depuis presque un an, et j’ai l’impression de faire pleinement partie de la communauté. Je me sens tout à fait en sécurité et les habitants me demandent même de rester. Cependant, il est très difficile de travailler et de vivre au village. Il faut en effet au moins trois heures pour gravir la montagne et arriver jusqu’ici. La plupart des gens utilisent des ânes, mais les deux premières fois j’avais tellement peur que j’ai fait tout le trajet à pied. Depuis, j’ai pris mon courage à deux mains et adopté de nouvelles habitudes. Toutes les six semaines, je redescends à Nyala ou à Kass pour travailler dans les bureaux de CARE pendant quinze jours. J’en profite également pour récupérer de ces conditions difficiles.

PENSEZ-VOUS QU’IL EST IMPORTANT QUE DES FEMMES DEVIENNENT ELLES AUSSI MÉDECINS?

Bien sûr! La femme est l’égale de l’homme, et la profession médicale ne peut être l’apanage de qui que ce soit.

Malheureusement, tout le monde n’est pas de cet avis au Soudan. Beaucoup pensent en effet qu’il existe des différences entre les genres; et c’est vrai à certains égards. Ici, l’éducation est moins ouverte aux femmes. La société les incite à rester à la maison, à ne pas occuper d’emploi comme ceux de médecin ou d’enseignante, et à assurer la garde des enfants.

COMMENT EN ÊTES-VOUS ARRIVÉE À PENSER AUTREMENT?

Cette force, je la dois à ma mère. C’est une personne vraiment formidable. Malgré le décès de mon père, elle m’a apporté un soutien inconditionnel durant mes études de médecine à l’Université d’El Fasher, ici au Darfour. Elle a été là pour moi, quels que soient les kilomètres entre nous, et m’a toujours témoigné sa confiance. Elle aussi pense qu’il faut aider les autres là où ils en ont besoin.

À QUOI RESSEMBLE VOTRE JOURNÉE TYPE?

Généralement, je me réveille vers 5 h du matin pour prier, puis je me rendors. C’est à 7 h que ma journée démarre vraiment, avec un verre de lait chaud et parfois quelques biscuits. À 8 h, je prends mon service au centre de santé, où je traite toutes sortes de patients. En raison du climat frais et de la cuisson au charbon de bois, les infections des voies respiratoires sont particulièrement fréquentes. Je dirais que la diarrhée est sans doute le deuxième motif de consultation le plus courant. Mais je vois aussi pas mal de lésions d’origine traumatique, comme des lacérations dues à une chute ou à la ruade d’un âne.

Les bons jours, j’arrive à rentrer vers midi à la pension de CARE [pour dîner]. Sinon, je ne mange pas avant 14 h. Je retourne ensuite au centre de santé jusqu’à sa fermeture, c’est-à-dire vers 15 ou 16 h selon ma charge de travail. Dès le lendemain, c’est reparti pour un tour!

Le centre de santé est ouvert cinq jours par semaine. Comme je suis l’unique médecin, c’est toujours moi qui suis de garde et qui me déplace au besoin le soir ou pendant mes jours de congé. D’ailleurs, il y a récemment eu quelques urgences tard dans la nuit ou très tôt le matin – comme des accouchements difficiles, un cas grave de paludisme et un enfant tombé d’un âne, dont l’état nécessitait plus de sept points de suture. J’ai également été appelée à faire deux accouchements à domicile – chaque fois, heureusement, la mère et l’enfant se portaient bien.

A selfie of Doctor Gisma Awad Hassan Rwah and Tessa Bolton.

Un égoportrait de Tessa Bolton et de la Dre Gisma Awad Hassan Rwah lors de leur rencontre. Tessa Bolton, CARE Canada

HORMIS LES INFECTIONS RESPIRATOIRES ET LES DIARRHÉES QUE VOUS AVEZ DÉJÀ ÉVOQUÉES, QUELS SONT LES AUTRES MOTIFS DE CONSULTATION AU SEIN DU CENTRE DE SANTÉ?

Je vois quelques cas de paludisme, mais pas si souvent, surtout à cette époque de l’année. J’épaule aussi les femmes enceintes et je les aide à accoucher. La plupart optent pour un accouchement à domicile classique avec une sage-femme. Mais nous les encourageons à venir ici, car nous avons accès à des médicaments et à un soutien médical adapté.

Au besoin, nous leur proposons des pilules contraceptives pour les inciter à espacer leurs grossesses.

En outre, nous assurons la vaccination des enfants et soignons de nombreuses lésions ou blessures. Les problèmes de goitre [thyroïde] sont également très courants ici, car l’eau potable est pauvre en iode. Il arrive même d’observer de telles affections chez des enfants. Il n’est pas rare non plus de croiser des maladies de peau, du fait de la piètre qualité des eaux de lessive et de la mise en commun des vêtements. Enfin, les infections des voies urinaires constituent un motif fréquent de consultation, en particulier chez les femmes.

QUELLES SONT LES PRINCIPALES DIFFICULTÉS LIÉES À VOTRE TRAVAIL?

Le plus gros problème, c’est que le centre n’a pas l’électricité. Je dois donc tenir une lampe de poche pour soigner mes patients la nuit, en cas d’urgence.

  • Dans les mois à venir, CARE envisage de doter le centre d’un éclairage électrique solaire.

Y A-T-IL UNE PERSONNE QUE VOUS ADMIREZ TOUT PARTICULIÈREMENT?

Ma maman. Je n’arrive même pas à trouver les mots. Elle n’est pas instruite, mais l’éducation est un sujet qui lui tient à cœur. Elle est en outre animée par le souci constant d’aider les autres.

QU’EST-CE QUI VOUS REND HEUREUSE?

Le bonheur des autres. Ça me donne des ailes. Quand je sens qu’on est heureux et en bonne santé autour de moi, toute ma fatigue s’évanouit.

VENEZ EN AIDE À GISMA ET À D’AUTRES FEMMES EXCEPTIONNELLES, PARTOUT DANS LE MONDE. DONNEZ-LEUR LES MOYENS DE FAIRE BOUGER LES CHOSES ET DE SOUTENIR LEUR COMMUNAUTÉ DANS DES SITUATIONS D’EXTRÊME PRÉCARITÉ.

FAITES UN DON MAINTENANT