Il nous faut faire mieux : camp de réfugiés au Kenya

Par Sarah Easter, responsable des communications sur les situations d’urgence, CARE Allemagne et CARE Autriche

J’emprunte un étroit passage ceint de grillage métallique. Il y a quelques trous ici et là, juste assez grands pour y passer une main. C’est par ces orifices que les réfugiés passent le bras pour faire lire leurs empreintes digitales lorsqu’ils font la queue pour recevoir leur ration alimentaire mensuelle. Le passage de gauche est réservé aux femmes et celui de droite aux hommes. Aujourd’hui, les passages sont vides. La prochaine distribution aura lieu au début du mois et sera effectuée par le Programme alimentaire mondial et CARE. Alors que je traverse l’un des trois centres de distribution du camp de réfugiés de Dadaab au Kenya, je ne peux qu’imaginer le nombre de personnes qui affluent avec leurs sacs et leurs jerricans les jours de distribution – en fait, entre 10 000 et 15 000 réfugiés par jour.

Je poursuis mon trajet jusqu’à l’unité de stockage, où la nourriture est emballée et préparée pour la distribution du mois suivant. Je parle aux travailleurs humanitaires qui transportent de grandes boîtes de lait en poudre sur leur tête depuis une vaste tente d’entreposage blanche jusqu’à un camion à l’arrêt. Ils me parlent de leurs défis. Ils désignent un sac de blé dans la tente voisine. Le pays d’origine est inscrit en grosses lettres bleues sur les sacs : Ukraine. Depuis la guerre, les livraisons de blé sont souvent retardées. Les navires de livraison sont bloqués ou ne quittent tout simplement pas le port. Les inondations actuelles ont également retardé les camions de livraison et détruit l’une des tentes d’entreposage. Or le flux de migrants est ininterrompu. Le nombre de personnes arrivées récemment à Dadaab est tel que les ressources alimentaires limitées sont encore plus sollicitées. Chaque personne ne reçoit plus que 80 % des rations alimentaires recommandées. L’année dernière, ce taux a chuté à 52 %. Pendant un instant, je fixe le chiffre que je viens d’inscrire dans mon carnet. Je n’arrive pas à y croire. Des personnes qui ont faim, des enfants souffrant de malnutrition, des familles qui marchent depuis des semaines dans des paysages arides et difficiles entre le Kenya et la Somalie, dans l’espoir de survivre d’une manière ou d’une autre, ne reçoivent que 52 % des denrées dont elles ont besoin. Comment vont-ils survivre avec la moitié des rations? Je les interroge sur la cause de cette pénurie. N’y a-t-il pas d’autres moyens qui permettraient d’obtenir suffisamment de nourriture pour tout le monde? Ils secouent la tête et frottent le pouce contre l’index et le majeur : l’argent. Il n’y a pas assez de soutien financier pour Dadaab ou pour les ONG qui y travaillent. L’aide financière internationale s’est effritée au fil des ans. L’attention des médias s’essouffle. Les dons se tarissent. Voilà ce qui explique que les familles de Dadaab dorment chaque nuit le ventre vide sur des nattes posées à même le sol.

Three men walk outdoors carrying boxes on their heads towards a truck where people are standing.
Sarah Easter, CARE

Je rencontre Saruro, arrivée dans le camp de réfugiés à l’âge de trois ans. C’était il y a 31 ans. Elle me dit qu’elle n’a pas reçu la livraison de savon prévue par un autre organisme. Pourquoi? Pas d’argent, pas de savon. Je vois des femmes qui jouent du coude pour atteindre le robinet qui ne laisse échapper qu’un mince filet d’eau potable. Une mère assise à côté de moi donne à son petit garçon un bol d’eau boueuse provenant d’une flaque. Les enfants dorment dehors, à la belle étoile, parce qu’il n’y a pas assez de place pour eux dans l’abri de fortune que leurs parents ont construit pour la famille. Le camp est saturé. Il accueille le triple de la population pour laquelle il a été conçu. C’est sans compter les 135 000 nouveaux arrivants qui vivent aux abords du camp par manque d’espace. CARE continue de distribuer de l’aide alimentaire à tous les réfugiés en collaboration avec le Programme alimentaire mondial. Toutefois, sans nouveau financement pour répondre aux besoins accrus, la nourriture viendra à manquer très rapidement. J’extirpe mon téléphone pour vérifier quelle proportion des besoins financiers annuels permettra de couvrir le fonds. Lorsque je vois le chiffre, je dois prendre une grande respiration pour me ressaisir. À ce jour, seuls 2,2 % de l’ensemble des besoins de base sont couverts. Le fonds ne dispose même pas d’un million de dollars américains! Il faut trouver 42 millions de dollars supplémentaires pour que les familles puissent disposer d’une quantité suffisante de nourriture, d’eau, d’abris, de soins de santé et de latrines. Et cela ne comble que les besoins de base. Les projets à long terme qui renforcent la résilience ou offrent des perspectives d’avenir, comme la génération de revenus, la formation et l’éducation, ne sont même pas à l’ordre du jour.

C’est la même histoire depuis toujours. Le camp est presque aussi âgé que moi. Pendant que je me promène dans le centre en prenant des notes, je pense à Saruro qui vient ici tous les mois depuis 30 ans parce que c’est sa seule chance de survie. Elle ne peut pas retourner en Somalie en raison du conflit en cours et du manque de nourriture, d’eau et de revenus associé à la sécheresse. Et elle ne peut pas quitter le camp. Lorsque je fréquentais la maternelle, Saruro faisait la queue tous les mois. Pendant que j’allais à l’université, elle restait ici, espérant recevoir de quoi se nourrir. Au moment où j’entamais ma carrière, elle ouvrait son sac pour qu’un travailleur humanitaire y dépose du blé. L’an dernier, elle a reçu 52 % de sa ration alimentaire et était tenaillée par la faim toutes les nuits. Dans deux semaines, elle sera à nouveau en file, à attendre 80 % de sa ration alimentaire, en espérant que le mois prochain et le mois suivant, elle recevra encore assez de nourriture pour survivre. J’essaie d’imaginer cette vie et ce cycle sans fin. Saruro me confie ensuite que son plus grand souhait est de voir le « monde moderne » une fois dans sa vie. Elle ne veut même pas y vivre. Elle ne l’espère pas, me dit-elle. J’en ai le cœur brisé.

Ma première réaction est la colère. Pourquoi personne ne se préoccupe-t-il de ce qui se passe ici? Alors que Saruro veut voir le « monde moderne » juste une fois, la plupart des habitants de ce « monde moderne » ignorent son existence. Ils sont loin de s’imaginer qu’elle fait la queue depuis 31 ans et qu’il n’y aura pas assez de nourriture pour elle si de nouvelles ressources ne sont pas allouées. Ma deuxième réaction, c’est une détermination farouche à faire mieux. Nous devons nous informer, ne pas détourner le regard. Écoutons les femmes et les hommes qui ont besoin de notre attention. Aidons-les, afin que des personnes comme Saruro n’aient plus à se soucier de trouver leur prochain repas, mais puissent peut-être même œuvrer à se construire un avenir qui profitera à elles-mêmes, à leur famille et à leur communauté.

A woman sits in a straw hut while holding a baby. A young child stands behind her
Sarah Easter, CARE

Quelles sont les interventions de CARE?

CARE soutient les nouveaux arrivants en leur fournissant et en installant des microsystèmes de stockage pouvant contenir jusqu’à 5000 litres d’eau potable, en distribuant des jerricans en plastique, en construisant des latrines communes et en fournissant du savon à tous les ménages résidant en périphérie du camp. Aussi, les femmes et les jeunes filles reçoivent des trousses d’hygiène menstruelle.

 

Aidez à sauver des vies dans les situations d’urgence et à lutter contre la pauvreté à long terme.

Actu et récits connexes