Paroles de mères : à Gaza, six mois sous le signe de la peur, du deuil, de la faim et des déplacements forcés

Six mois se sont écoulés depuis les attaques du 7 octobre et l’escalade du conflit à Gaza. CARE a décidé de donner la parole à des mères, obligées de quitter leur maison avec leur famille. Elles se confient sur leur situation, leurs craintes et leurs espoirs. Près de 1,9 million de personnes – soit environ 85 % de la population de Gaza – ont été déplacées. Aujourd’hui, la faim tenaille la totalité des 2,3 millions d’habitantes et habitants. Sur les 32 975 morts et les 75 577 blessés, la plupart sont des femmes et des enfants.

Plus personne n’est en sécurité à Gaza et ce sont les mères et leurs enfants qui en paient le plus lourd tribut.

Tous les prénoms ont été modifiés pour des raisons de sécurité.
Photos : Yousef Ruzzi, CARE

Nadia

« Je crains pour la vie de mes enfants. Ils sont tout le temps malades. »

Ayant déjà perdu son neveu et sa nièce, Nadia a peur que la maladie ou les bombardements ne lui prennent aussi ses deux enfants.

A woman wearing a blue hijab stands holding a young child in her arms.

« Je n’arrive pas à croire que six mois se sont déjà écoulés depuis le début de cette guerre.

C’est le 17 octobre que les bombes se sont abattues sur notre quartier et nous ont jetés sur les routes. On a alors trouvé refuge dans une école. Mais peu après, le bâtiment a été lui aussi la proie de bombardements. On est donc partis se mettre à l’abri à Rafah, où l’on vit aujourd’hui dans une tente. On pensait être en sécurité ici, mais il y a quelques jours, on nous a dit qu’il faudrait bientôt évacuer. Mais pour aller où?

On n’est plus en sécurité nulle part et nos conditions de vie sont terribles : notre tente, on a dû la planter au beau milieu de la rue. Nos corps et nos esprits souffrent. Il est difficile pour un être humain de vivre constamment dans la peur et de s’attendre à tout moment au pire.»

« Le plus dur, c’est de m’inquiéter en permanence pour mes deux enfants. J’ai dû les emmener à l’hôpital plusieurs fois parce qu’ils sont toujours malades. Ils sont si petits et je suis terrorisée à l’idée qu’un virus ou une bombe me les prennent. Il a fait très froid et nos seuls vêtements sont ceux que j’ai pu attraper au milieu des bombes. On n’a pas de matelas et le froid s’insinue à travers les fines nattes qui nous servent de lit.

Je n’arrête pas de penser à mon petit neveu et à ma petite nièce, qui sont décédés il y a quelques semaines, et je n’arrive pas à me dire que je ne les reverrai jamais. La guerre a tout changé et rien ne sera plus comme avant. On ne sera plus les mêmes. On a tant perdu et la peur s’est immiscée dans nos cœurs.

Je ne souhaite rien d’autre que la fin de cette guerre et notre retour dans notre maison, ou ce qu’il en reste. »

Sawsan

« J’ai entendu les cris de mes enfants percer sous les décombres. Ma pire crainte était de les perdre. »

Sawsan s’occupe seule de ses six enfants. Chaque jour, elle s’endort et se réveille avec les larmes aux yeux.

 « L’enfer ne peut être pire que ces six derniers mois.

Le 15 novembre, notre maison a été bombardée tandis qu’on était chez nous. Quand on m’a extraite des décombres, je n’avais qu’une question en tête : ”Où sont mes enfants?” Pour une mère, il n’y a rien de pire que de perdre la chair de sa chair, le sang de son sang. Je n’ai jamais éprouvé un tel sentiment d’horreur et de douleur.

Je les ai finalement entendus crier, mais il nous a fallu du temps pour les retrouver sous les décombres. Ils sont encore si petits et si fragiles. Tous les six ont heureusement survécu, malgré leurs blessures. Ma belle-mère, mon beau-frère et mon frère, eux, ont été tués. Ils me manquent terriblement.

Mon mari est parti à la recherche d’un gagne-pain, car on a tout perdu. Je pleure la nuit. Je pleure au réveil. Mais pendant la journée, j’essaie d’être forte pour mes enfants. Les membres de ma famille qui ont été tués me manquent; ma maison me manque; mon mari me manque. Tous les jours, on s’endort et on se réveille dans la peur. Bien souvent, le bruit des avions et des bombes nous empêche de trouver le sommeil. Ma fille cadette a six ans et elle frissonne de peur même en dormant. Je me sens tellement impuissante et démunie, mais je dois tenir bon.

Je souhaite que mes enfants et les enfants de Gaza puissent à nouveau vivre en paix et en sécurité. Mes filles et mes fils rêvent de devenir avocats, ingénieurs et dentistes. Je veux qu’ils vivent et qu’ils mènent l’existence à laquelle ils aspirent. Il est hors de question que cette guerre gâche leur avenir et leur impose un quotidien dicté par la peur et la faim. »

A woman stands with her three children in front of a blue tarp. Beside them is a large black container

Salam

« Ce qui me manque le plus, c’est le sourire des autres. La joie a déserté nos vies. Tout le monde est en deuil. »

Salam souhaite que ses enfants puissent grandir dans la paix et la stabilité.

« La nourriture que l’on mange depuis six mois nous rend tous malades.

J’ai quatre enfants : trois filles et un garçon. On a dû quitter notre maison sept jours après le début de la guerre. La seule consigne était de prendre la direction du sud. On a alors trouvé refuge dans une école, qui a été bombardée sans préavis. Heureusement, toute ma famille a survécu à ce drame.

A woman sits on a colourful rug, preparing food. A young girl sits beside her on a cot.

On vit aujourd’hui à Rafah dans une tente, mais on ne se sent pas en sécurité. Depuis six mois, on peut dire que le bonheur et la gaieté ont plié bagage. J’ai été hospitalisée pendant deux jours en raison d’une mauvaise alimentation. En plus, il nous faut des heures pour aller chercher une eau polluée ou hors de prix. Mes enfants ne peuvent plus aller à l’école, et j’en ai le cœur brisé; ils ne veulent pas non plus jouer. De surcroît, la mère de mon mari est morte et je suis sans nouvelles de ma famille restée dans la ville de Gaza. Je n’ai pas réussi à joindre mes proches et je ne sais pas s’ils sont morts ou vivants. Ce qui me manque le plus, c’est le sourire des autres. La joie a déserté nos vies. Chaque journée qui passe nous prend un être cher. Tout le monde est en deuil et la tristesse est notre lot quotidien.

Mes enfants n’arrêtent pas de me demander quand on va rentrer chez nous. Qu’est-ce que je peux leur répondre?

Ils ont tout le temps froid. Je pense que n’importe quelle maman peut imaginer à quel point il est difficile d’avoir un enfant qui a froid, qui souffre et à qui on ne peut offrir que le maigre réconfort de ses bras, sans parvenir à calmer les frissons et la peur. Il y a quelques jours, CARE nous a fourni des matelas, des couvertures et des oreillers. Heureusement, notre situation s’est un peu améliorée – au moins, on n’a plus froid.

Tout ce que je veux, c’est que cette occupation prenne fin et que mes enfants puissent grandir dans la paix et la stabilité. »

Lara

« Mes filles ne me quittent pas d’une semelle et refusent de rester seules. »

Lara est divorcée et vit avec trois de ses cinq enfants dans une tente, à Rafah. Son asthme s’aggrave à cause des fumées de combustion de bois de chauffage, qui l’empêchent de respirer.

A woman and two of her daughters stand in front of a white tent.

« Ces six derniers mois ont été extrêmement éprouvants. J’ai fui avec trois de mes cinq enfants – je suis divorcée et mon ex-mari a la garde de deux de mes filles. On a quitté notre maison sous une pluie de missiles avec ma mère et ma belle-sœur, avant que d’autres bombardements nous séparent. On est d’abord parties en voiture, mais très vite, on a simplement essayé d’échapper aux balles. On a alors trouvé refuge dans un hôpital, qui a lui aussi été bombardé. Pendant quelque temps, on a vécu dans des maisons vides, sans même trouver la force de fuir.

Je souffre d’asthme et de fortes migraines. Habitant aujourd’hui dans une tente, j’ai du mal à respirer à cause des fumées de combustion de bois de chauffage. Mes jambes aussi me font souffrir et gonflent quand je marche. Dans ces conditions, il est très difficile de courir pour sauver ma peau.

Mes enfants ne sont plus les mêmes et me suivent, où que j’aille. Elles refusent de rester seules dans la tente, ne serait-ce qu’une minute, et ne veulent pas non plus aller jouer. En bref, elles ne me quittent pas d’une semelle.

Tout ce que j’espère pour mes filles, c’est une vie plus facile et la fin des hostilités. Je souhaite de tout cœur que le bonheur revienne et qu’elles puissent mener l’existence qu’elles auront choisie. »

CARE Cisjordanie et Gaza  

CARE International est présente à Gaza et en Cisjordanie depuis 1948. Avant le conflit en cours, nous apportions notre soutien à environ 200 000 Palestiniennes et Palestiniens à Gaza. Nous aidons toujours à satisfaire les besoins alimentaires de près de 300 000 personnes en Cisjordanie. De plus, nous contribuons à améliorer les pratiques agricoles, à favoriser l’autonomisation économique et le leadership des femmes, et à perfectionner les programmes axés sur la prévention des violences sexistes, la santé sexuelle et reproductive et la santé mentale des enfants.      

Depuis l’escalade du conflit, l’équipe de CARE à Gaza a pu distribuer des trousses d’hygiène, des produits de première nécessité (comme des couvertures et des matelas) et de l’eau potable à plus de 250 000 personnes déplacées. CARE a également offert une aide médicale à plus de 67 000 personnes, y compris des médicaments, du matériel et des soins de santé primaires. 

Faites un don aujourd’hui pour aider des femmes comme Nadia, Sawsan, Salam et Lara à Gaza.