Comment l’aide humanitaire est-elle acheminée vers Gaza?

Par Hiba Tibi, directrice nationale de CARE Cisjordanie et Gaza, et le personnel de CARE
Photos : CARE Cisjordanie et Gaza

À la suite des attaques du 7 octobre, toute aide humanitaire en provenance de l’extérieur de Gaza a été suspendue. Des livraisons de nourriture, de médicaments et d’eau sont toutefois autorisées au compte-gouttes dans l’enclave, depuis la fin octobre. Mais ces mesures sont loin d’être suffisantes pour répondre aux énormes besoins humanitaires.

Près de six mois après le début de la guerre, la vie de plus de deux millions de personnes c’est-à-dire de la quasi-totalité de la population – est suspendue aux livraisons des camions humanitaires. Pourtant, en dépit de la situation de famine actuelle, seuls 95 camions environ peuvent pénétrer à Gaza chaque jour – contre près de 500 avant la guerre, quand les besoins étaient moins importants.

L’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza est un processus extrêmement difficile et complexe.

Hiba Tiba, directrice nationale de CARE Cisjordanie et Gaza, nous raconte comment les camions d’aide de CARE parviennent à passer la frontière depuis l’Égypte. Elle nous parle aussi des initiatives de l’équipe et de ses partenaires pour soulager les souffrances de la population ainsi que des principales difficultés sur le terrain. Elle nous explique enfin pourquoi seul un cessez-le-feu est susceptible de mettre un terme aux pertes humaines.

A group of people line up in front of a blue truck. Red bags are being passed down the line of people.
Le 26 janvier, CARE, en collaboration avec les Comités de secours agricoles palestiniens (PARC), a distribué 1 000 trousses d’hygiène à des personnes déplacées, dans 3 camps de la ville de Gaza. C’était la première fois en trois mois qu’une telle distribution pouvait avoir lieu dans le nord du territoire. Chaque trousse d’hygiène couvre les besoins d’une famille de cinq personnes pendant un mois. Elle contient une serviette de bain, du savon, du shampoing, de la lessive en poudre, du dentifrice et des brosses à dents, des lingettes, des serviettes hygiéniques et du désinfectant.

Pouvez-vous faire le point sur l’acheminement par CARE de l’aide humanitaire vers Gaza?

Depuis octobre, CARE a fourni 153 000 litres d’eau à plus de 250 000 personnes et accueilli 68 000 patientes et patients dans ses centres de santé mobiles. Elle a en outre distribué plus de 3 000 trousses de première nécessité à des femmes et à de jeunes filles, et s’est assurée qu’au moins 11 000 personnes disposaient des outils et des produits dont elles avaient besoin pour réparer les tentes et les abris endommagés.

CARE est présente à Gaza depuis 1948 et a la chance de compter sur place des partenaires de longue date qui, inlassablement, distribuent de l’aide aux familles ayant tout perdu durant cette guerre. Dans la mesure du possible, CARE travaille aussi avec des fournisseurs de Gaza qui ont encore des stocks dans leurs entrepôts.

C’est ainsi qu’on a pu livrer de l’eau en bouteille, des milliers de trousses d’hygiène et des médicaments au cours des premières semaines, quand il était impossible de faire entrer des camions à Gaza. Malheureusement, un grand nombre d’entrepôts humanitaires ont été endommagés ou détruits, tout comme les routes qui les desservent. Les axes encore praticables peuvent à tout moment être la proie des bombes et beaucoup de produits sont désormais introuvables.

Les camions doivent entrer depuis Le Caire, en Égypte. CARE a ainsi pu faire pénétrer à Gaza 20 véhicules chargés de 14 650 trousses d’hygiène pour venir en aide à 85 000 personnes. D’autres camions sont en route, mais le processus d’acheminement de l’aide par la frontière égyptienne est long et difficile.

Pourquoi est-il si difficile d’acheminer l’aide de l’Égypte vers Gaza?

Toute l’aide qu’on achemine vers Gaza doit transiter par l’Égypte. C’est pourquoi on doit y importer les produits nécessaires ou, dans la mesure du possible, les acheter sur place. Au Caire, on dispose heureusement d’une équipe nombreuse et expérimentée, qui s’emploie à mettre en place des systèmes et des procédures efficaces afin d’accélérer l’arrivée de l’aide. C’est le Croissant-Rouge égyptien qui gère les camions au nom de la communauté internationale.

Ses équipes font ensuite le nécessaire pour que la marchandise soit acheminée vers la frontière à Rafah, passe le processus d’inspection et entre dans la bande de Gaza. Depuis Le Caire, les camions doivent traverser la péninsule du Sinaï, où se trouvent plusieurs postes de contrôle.

 

« Chaque article transporté dans nos camions est inspecté et contrôlé à plusieurs reprises par les autorités israéliennes et égyptiennes. »

– Hiba Tibi

 

Malgré ces inspections et ces contrôles, les camions en provenance d’Égypte ne sont pas autorisés à pénétrer dans la bande de Gaza. Une fois à la frontière à Rafah, il faut entièrement les décharger, avant que la marchandise ne soit de nouveau passée au peigne fin et transférée dans des camions palestiniens. Le voyage du Caire à Gaza peut donc prendre jusqu’à 20 jours alors que les gens ont désespérément besoin d’aide.

A person faces a grey stone wall. They wear a coat with a hood pulled up and a black draw string CARE bag on their back.
Le 23 janvier, en étroite collaboration avec CARE Égypte et le Croissant-Rouge égyptien, CARE a pu acheminer 3 camions contenant 3 100 trousses de première nécessité dans la bande de Gaza via le poste-frontière de Rafah. CARE et son partenaire Juzoor ont ensuite distribué les trousses dans des abris officiels et non officiels à Rafah et ses alentours, en privilégiant les familles comptant des femmes enceintes, allaitantes ou âgées, ou des jeunes filles en âge de procréer.

Quels sont les principaux obstacles à l’acheminement de l’aide, une fois la marchandise arrivée dans la bande de Gaza?

Le personnel et les partenaires de CARE font un boulot incroyable. Ils connaissent la situation sur le terrain, les différents fournisseurs, les besoins de la population et les moyens de lui venir en aide.

Mais les difficultés auxquelles ils se heurtent sont immenses, même une fois la marchandise de l’autre côté de la frontière. Dans la bande de Gaza, la pénurie de camions est criante : seuls 120 circulent actuellement dans les rues de Rafah. Ainsi, pour chaque camion qui arrive du Caire et ne peut pas traverser la frontière, un de ces véhicules doit venir chercher la marchandise et faire des allers-retours en vue d’acheminer l’aide nécessaire à la population.

C’est une procédure extrêmement chronophage, d’autant que les routes ont été endommagées par les frappes aériennes et que les rues de Rafah sont très embouteillées. Environ 1,4 million de personnes sont entassées dans une zone de moins de 80 km². Les rues sont pleines de monde, de tentes et de charrettes. La tension est de plus en plus palpable, tout comme le désespoir des personnes qui ont perdu un proche des suites d’une maladie, de la faim ou des bombardements. La foule compacte ne fait que compliquer encore les distributions.

Heureusement, nos partenaires travaillent à Gaza depuis plusieurs décennies. Ils connaissent les gens et montent en général sur le toit de nos camions pour s’adresser à la foule. Ils demandent alors aux personnes présentes de faire de la place et leur expliquent notre méthode de distribution.

Les coupures constantes du réseau de télécommunication sont un autre problème majeur, car elles rendent impossibles de simples appels téléphoniques et nuisent à l’organisation de l’aide. L’absence de sécurité et la poursuite des hostilités et des bombardements constituent un autre défi de taille. Chaque jour, notre personnel risque sa vie pour sauver celle des autres.

Justement, comment CARE assure-t-elle la sécurité de son personnel?

Malheureusement, il n’y a plus aucun endroit sûr à Gaza. Les membres de CARE et de ses partenaires vivent au milieu des bombardements et ont dû fuir leur propre maison. Ils habitent eux-mêmes dans des abris, et partagent souvent des tentes ou des chambres minuscules avec des dizaines de membres de leur famille, voire avec des étrangers.

 

« Notre collègue Saaed , coordonnateur des situations d’urgence, nous a récemment confié que ses enfants le suppliaient chaque matin de ne pas quitter la maison. Ils craignent pour sa vie. »

– Hiba Tibi

 

Le mieux, c’est de s’assurer que la consigne est claire parmi notre personnel : on ne doit sortir que si l’on est à l’aise de le faire. Il est tout à fait compréhensible de décider de rester chez soi, surtout quand on reçoit des alertes de sécurité recommandant d’éviter certaines zones. Nos partenaires s’exposent à des risques considérables, en particulier quand ils prennent le volant pour aller distribuer de l’aide dans des écoles, des hôpitaux et des abris en dehors du centre-ville.

Dans le nord, où CARE est l’un des trois seuls organismes internationaux à poursuivre ses activités, les munitions non explosées font peser un risque supplémentaire; et partout dans la bande de Gaza, les combats et les bombardements continuent de faire rage.

Au bout du compte, seul un cessez-le-feu pourrait garantir la sécurité de nos équipes et de toutes les autres personnes à Gaza. Notre plus grande crainte aujourd’hui, c’est que les attaques sur Rafah s’intensifient. Non seulement la vie de nos collègues et de centaines de milliers de personnes serait en immense péril, mais toute forme d’acheminement de l’aide vers Gaza deviendrait trop dangereuse, même depuis l’Égypte.

A man stands in front of a flatbed truck, stacked with brown boxes with the CARE logo on them.

Comment CARE s’assure-t-il que l’aide est acheminée aux personnes qui en ont le plus besoin?

Lors de chaque distribution, ce sont les membres des équipes de nos partenaires qui manipulent les produits. Ils les comptent, relèvent les noms des bénéficiaires et veillent à ce que les personnes présentes puissent donner leur avis ou signaler un dysfonctionnement. Ils vérifient aussi que les femmes, les enfants et les personnes âgées ou en situation de handicap ont bien accès aux produits. Quant au personnel de CARE, il aide à coordonner ces distributions et à contrôler le processus.

Les personnes vivant dans des abris officiels gérés par l’ONU et d’autres organisations sont enregistrées; on connaît donc leur nom. Dans les autres cas, on collabore avec les personnes âgées de la communauté afin de confirmer l’identité des bénéficiaires.

Toutes celles et tous ceux à qui on apporte de l’aide à Gaza en ont désespérément besoin : aucun produit n’est superflu. D’ailleurs, la situation est désastreuse. Plus de 2 millions de personnes ayant pour l’heure survécu aux bombardements et aux attaques risquent de mourir d’une maladie ou de la faim. En tant qu’organisme humanitaire et au regard de la catastrophe de santé publique en cours, il est de notre devoir de les aider.

CARE Cisjordanie et Gaza  

CARE International est présente à Gaza et en Cisjordanie depuis 1948. Avant le conflit en cours, nous apportions notre soutien à environ 200 000 Palestiniennes et Palestiniens à Gaza. Nous aidons toujours à satisfaire les besoins alimentaires de près de 300 000 personnes en Cisjordanie. De plus, nous contribuons à améliorer les pratiques agricoles, à favoriser l’autonomisation économique et le leadership des femmes, et à perfectionner les programmes axés sur la prévention des violences sexistes, la santé sexuelle et reproductive et la santé mentale des enfants.      

Depuis l’escalade du conflit, l’équipe de CARE à Gaza a pu distribuer des trousses d’hygiène, des produits de première nécessité (comme des couvertures et des matelas) et de l’eau potable à plus de 250 000 personnes déplacées. CARE a également offert une aide médicale à plus de 67 000 personnes, y compris des médicaments, du matériel et des soins de santé primaires. 

Faites un don sans attendre pour nous permettre de fournir une aide vitale à la population de Gaza.