Lettre d’une maman à Gaza

Alaa, 30 ans, maman de 3 enfants, s’est confiée à nous sur sa réalité de mère à Gaza. Elle se trouve actuellement à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, et vit sous les bombardements incessants. Lettre rédigée avec le soutien de Johanna Mitscherlich.

Veuillez noter que cette publication contient des passages sensibles, notamment sur les violences et les répercussions de la guerre.

Ayant grandi à Gaza, je sais ce qu’est la guerre.

Or, malgré l’insécurité et les restrictions, j’ai réussi à donner une belle qualité de vie à ma famille et moi-même. J’ai terminé mes études universitaires parmi les meilleures étudiantes de ma promotion en psychologie et en éducation. J’ai trouvé un bon emploi, je me suis mariée et j’ai trois beaux enfants. Taïm a six ans, Tala a quatre ans et Sally a eu un an il y a deux mois.

Lorsque la guerre a éclaté le 7 octobre, je préparais mes enfants à aller à la garderie et à l’école.

Ils venaient tout juste d’enfiler manteaux et chaussures lorsque nous avons entendu les premières frappes aériennes. J’ai alors couru jusqu’à la chambre des enfants où j’ai attrapé quelques vêtements. Le temps était compté. J’étais dans un état second. Que faut-il emporter quand on ne sait pas si on reverra un jour la maison dans laquelle on vit depuis des années?.

Ma petite dernière a encore besoin de nourriture et de lait pour bébé. Les plus vieux ont semblé comprendre la gravité de la situation, malgré leur âge, car ils se sont rapidement attelés à remplir leur sac à dos de leurs jouets préférés.

Lorsque nous avons refermé la porte de notre maison, située dans la ville de Gaza, nous avons été frappés de voir des centaines de personnes courir dans les rues.

Nous savions que nous devions nous mettre à l’abri. Nous avons trouvé refuge dans la maison du cousin de mon mari. Je ne le connaissais pas et j’avais l’impression d’être un fardeau.

Mes enfants ont crié et pleuré toute la nuit tant les bombardements les effrayaient. J’ai essayé de les calmer, mais j’étais impuissante à les réconforter.

 

Mes enfants ont crié et pleuré toute la nuit tant les bombardements les effrayaient. J’ai essayé de les calmer, mais j’étais impuissante à les réconforter.

Une enfant palestinienne déplacée dans un camp de tentes à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. © Grayscale Media, 2023

Nous avons fui vers Khan Younis pour demander asile à la sœur de mon mari. À l’étroit dans une petite maison de deux chambres avec une cinquantaine d’autres personnes, je me sentais anxieuse et désorientée. Nous y sommes restés pendant 45 jours.

Je jouais avec mes enfants en faisant de mon mieux pour leur faire oublier la guerre et tout le reste quand soudain, un bruit a déchiré l’air, le sol a tremblé. De la fumée noire et de la poussière nous ont happés. Une bombe venait de frapper la maison voisine. Tous les habitants ont été tués.

J’ai attrapé ma fille cadette; mes deux autres enfants ont accouru vers moi. Je ne voyais rien. Mes enfants, paniqués, hurlaient.

Depuis que j’ai vu leurs petits visages pour la première fois, tout ce que j’ai toujours voulu, c’est assurer leur sécurité et veiller à leur santé. Maintenant, la seule chose que je peux faire, c’est leur dire de courir plus vite.

 

Nous avons trouvé refuge dans une autre maison où logeaient déjà une centaine de personnes. Je n’oublierai jamais l’ambiance dans cette maison. Tout le monde gémissait et criait, pleurant la mort d’amis et de membres de leur famille.

Nous vivons maintenant à Rafah, dans notre quatrième abri depuis le début de la guerre, avec ma mère et une trentaine d’autres personnes.

Pendant les sept jours de la trêve, mes enfants et moi avons enfin retrouvé un semblant de sentiment de sécurité. Pour la première fois depuis plus de sept semaines, ils ont eu le courage de sortir de la maison pour regarder passer les gens et les voitures.

En tant que mère, j’essaie d’adopter une attitude positive, de détourner l’attention des enfants et de faire des plaisanteries. Ça me brise le cœur de voir les conséquences de cette guerre sur mes petits. Eux qui ont toujours été pleins de vie et de joie doivent maintenant faire appel à tout leur courage pour oser faire un pas à l’extérieur de la maison.

La trêve est bel et bien révolue. C’est l’enfer. Les bombardements ont repris, plus intenses que jamais.

On nous a dit d’évacuer, mais nous ne savons pas où aller. Nous ne sommes en sécurité nulle part. Mes enfants sont pétrifiés. Toutes les deux minutes, ils me demandent : « Maman, quand est-ce qu’on rentre à la maison? »

 

Chaque matin, au réveil, mon fils Taïm me pose ces questions : « Maman, est-ce que la guerre est terminée? Est-ce que je peux aller à l’école? » Ma fille Tala se bouche les oreilles avec ses petites mains dès qu’il y a un bruit fort, me répète qu’elle ne veut pas mourir et semble se dissocier de la réalité jusqu’à ce que le calme revienne. Sally, ma petite fille d’un an, pleure beaucoup plus qu’avant. Elle est toujours collée à moi.

D’autres mères m’ont dit que leurs enfants ne parlaient plus, que les cauchemars hantaient leurs nuits et qu’ils faisaient pipi au lit pour la première fois depuis des années.

Combien de temps encore avant qu’ils ne puissent redevenir des enfants?

Un Palestinien déplacé en raison des bombardements israéliens sur la bande de Gaza se tient dans un camp de tentes à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. © Grayscale Media, 2023

Nous, les femmes, nous heurtons à de nombreux autres défis, et pas seulement en tant que mères. Personne ne mange à sa faim et, en temps de guerre, ce sont généralement les mères qui mangent en dernier.

Comment gérer ses règles lorsqu’il n’y a pas de serviettes hygiéniques ni d’eau potable?

Où allaiter dans l’intimité?

Que faire si la montée de lait se tarit parce qu’on n’a pas assez à manger?

Il n’y a pas d’électricité pour cuire le pain, pas de gaz pour faire la cuisine. On se nourrit de conserves depuis 60 jours. Il n’y a pas de légumes ni de fruits, pas de diversité alimentaire. Les filles ne peuvent pas quitter la maison. Le danger guette partout. Comme nous dormons toutes et tous avec des dizaines de personnes sur des matelas posés sur des sols froids, les disputes et les conflits familiaux se multiplient. J’ai également entendu parler de cas de violence sexiste. Tous les abris sont surpeuplés et il n’y a pratiquement pas d’eau potable.

Personne ne sait ce qui nous attend, personne ne sait où aller. Les bombardements sont plus intenses que jamais.

En tant que mère, en tant que femme et en tant que Palestinienne de Gaza, je ne souhaite qu’une chose :  que cesse la violence. Qu’une paix durable soit instaurée. J’aimerais pouvoir regarder à nouveau mes enfants sans craindre que mon câlin soit le dernier. J’aimerais que cessent les pleurs et les cris – terrifiante bande sonore de cette guerre – pour que nous puissions à nouveau entendre les rires de nos enfants.