Des échos de Gaza : cinq raisons pour lesquelles il est si difficile d’être une femme et une mère à Rafah

Farah* est une jeune femme de 27 ans, diplômée en administration des affaires, dont le deuxième enfant est né juste avant le conflit actuel à Gaza. Elle nous écrit depuis Rafah où, comme 1,4 million d’autres civils, elle vit dans la peur d’une offensive terrestre imminente.

* Tous les prénoms ont été modifiés pour des raisons de sécurité.

Photo : © Grayscale Media et CARE, 2024

Le 20 septembre 2023 a été une journée formidable, celle de la naissance de mon fils Omar*. J’ai eu la chance de pouvoir accoucher à l’hôpital sans aucune complication, avec tous les traitements et médicaments nécessaires à ma disposition. Mon mari, ma fille et moi savourions notre bonheur d’accueillir un nouveau membre dans notre famille.

Nous nous autorisions tous les espoirs, bercés de notre amour les uns pour les autres.

J’étais loin de me douter qu’à peine deux semaines plus tard, accoucher à Gaza deviendrait une entreprise périlleuse, susceptible de mettre la vie des mères et de leur nouveau-né en danger. Au cours des quatre derniers mois, plusieurs de mes amies – dont certaines ayant subi une césarienne – ont dû mettre leur enfant au monde sans anesthésie. D’autres encore ont eu à accoucher dans un abri, à même le sol sale et glacé, sous la seule supervision de leur mère ou de femmes plus âgées.

Le 14 octobre, j’ai quitté à la hâte notre maison située dans le nord de Gaza, poussée à la rue par des injonctions répétées à fuir. Ce matin-là, je suis partie avec les quelques vêtements que j’avais sur le dos, la main de ma fille calée dans la mienne et mon fils de trois semaines lové dans mes bras.

Depuis, la plénitude absolue de la maternité a cédé la place à un abîme intérieur, dont la profondeur vertigineuse défie toute imagination.

Mais permettez-moi de vous dire ce que signifie être une mère et une femme à Gaza aujourd’hui, car je voudrais vraiment que vous compreniez.

1. Subvenir aux besoins de mes enfants est devenu un véritable parcours du combattant.

Comme mère, il est de mon devoir de subvenir aux besoins quotidiens et fondamentaux de mes enfants, de leur fournir de la nourriture, des vêtements et le nécessaire à leur hygiène. Mais depuis le début de la guerre, les produits de première nécessité sont introuvables. Je me sens impuissante. Je n’ai pas de couches pour mon bébé de quatre mois et je ne peux pas laver ses vêtements. La seule nourriture qu’on trouve est en conserve; il n’y a pas d’aliments frais avec lesquels je pourrais préparer des repas nutritifs pour ma famille. De toute façon, il n’y a ni électricité ni gaz pour cuisiner. Je suis soulagée de pouvoir encore allaiter mon bébé, mais je ne sais pas où nous pourrons trouver des aliments et de l’eau potable lorsqu’il devra manger des aliments solides. Nous n’avons plus de gagne-pain alors que les prix des denrées et des couches montent en flèche. Le marché près de chez nous est toujours bondé et on n’y trouve pas de vêtement pour bébés. Lorsque nous avons dû quitter notre foyer en octobre, nous portions des vêtements légers adaptés à la saison. Nous n’avons pas pu emporter de vêtements d’hiver pour nous tenir au chaud pendant les mois humides et froids.

Nous partageons une petite maison à Rafah avec 25 personnes. Nous nous consolons de ne pas vivre dans une tente ou dans la rue, comme tant d’autres. Nous dormons à même le sol et n’avons ni espace ni intimité, mais au moins nous sommes protégés du froid et de la pluie. La plupart des gens autour de nous ont la diarrhée, toussent et sont enrhumés. Je n’ai pas encore pu faire vacciner mon bébé et je crains pour sa santé et son système immunitaire, d’autant plus que notre maison est surpeuplée et qu’il est impossible de respecter les normes d’hygiène les plus élémentaires, comme se laver les mains, puisqu’il n’y ni eau potable ni savon. Les maladies se propagent et deviennent rapidement des épidémies.

2. Je dois arborer un sourire de façade même si, au fond, j’ai envie de pleurer.

Je dois toujours présenter le visage le plus serein et contenir mes émotions devant mes enfants afin de préserver leur santé mentale. Je veux leur éviter la peur et les problèmes psychologiques qui pourraient en découler et affecter leur personnalité une fois la guerre terminée. Je ne veux pas que leur avenir soit compromis par les horreurs d’aujourd’hui. J’essaie constamment d’inventer de nouveaux jeux avec eux.  Je parle à ma fille de trois ans de sujets amusants et je lui raconte des histoires. Je veux qu’ils oublient la guerre et qu’ils vivent une enfance aussi heureuse que possible. Mon bébé de quatre mois est toujours en train de rire et de gazouiller. Il est trop jeune pour comprendre ce qui se passe. Avec Nadia, cependant, c’est parfois difficile, car elle entend les sirènes et sursaute à chaque détonation. Je câline mes enfants autant que possible.

La guerre m’affecte beaucoup. Je navigue entre peur, terreur et anxiété. Je me sens tendue et sous pression en permanence. Je veux donner à mes enfants un sentiment de sécurité qui, pour ma part, m’a désertée. Il est pour moi exténuant de cacher ce que je ressens vraiment et d’être un roc pour mes enfants alors que tout en moi se brise. Je me sens engourdie par le choc, le traumatisme et le vide.

3. J’ai peur que mes enfants aient à survivre à cette guerre sans moi.

Mais ce que je crains le plus, c’est de perdre ma famille. Elle est tout pour moi. Je crains de perdre l’un de mes enfants, mon mari ou d’autres membres de ma famille. J’ai également peur de mourir et de laisser mes enfants derrière moi. J’ai peur de ce qu’il adviendra d’eux si leur père et moi ne sommes plus là pour s’occuper d’eux. Il y a tant d’orphelins autour de nous, tant d’enfants qui ont perdu leurs parents. J’ai également peur d’être blessée et de ne pas pouvoir subvenir à mes besoins ni à ceux de mes enfants, de dépendre de quelqu’un d’autre.

Ma vie ressemble à un cauchemar dont je n’arrive pas à me réveiller. Chaque matin, je remercie Dieu d’être encore en vie. Chaque jour apporte son lot de morts. Chaque jour, des nouvelles d’horreur, de destruction et de ruine nous parviennent, avec le bruit des bombardements et des roquettes, ainsi que les sirènes incessantes des ambulances. Cette notre trame sonore quotidienne. Nous ne pouvons pas dormir à cause du vacarme des avions et des bombardements. Nous avons peur de la mort, nous avons peur de ne pas nous réveiller chaque fois que nous tentons de fermer l’œil. Notre vie n’est que fatigue et souffrance. J’ai également peur de ce que l’avenir nous réserve après cette guerre. Nous n’avons plus de maison. Que ferons-nous? Où irons-nous? Notre avenir est obscur.

4. L’hygiène personnelle et la sécurité ne sont que de lointains souvenirs.

If you are a woman, you know what it is like to have your period. You know what you need and how you feel. Right now, we have no sanitary supplies. In the shelters, women must sometimes queue for hours to use the bathroom while feeling unwell and unable to dispose of tissues soaked in blood, as they do not have any hygiene pads. I know some underage girls who are really suffering, especially given how little privacy they have in the shelters in which hundreds of people have just one toilet to share. As women and girls, we do not feel safe. We cannot move around freely as we fear the shelling and destruction. We cannot gather with our friends for birthday parties, cultivate social relationships, pursue a hobby, or simply use social media to stay in touch as the internet is down most of the time. We feel isolated while at the same time having no privacy at all, sharing small rooms with strangers.

5. Il semblerait que le monde ait oublié les femmes et les enfants de Gaza.

Au-delà des luttes quotidiennes et des cicatrices psychologiques, le pire est d’avoir l’impression que les choses ne bougent pas même si le monde entier est témoin de notre souffrance. Je veux que le monde sache que nous sommes des êtres humains avec des sentiments et des émotions. Nous aimons la vie et cultivons l’espoir d’un avenir meilleur. Nous ne méritons pas ce présent où règnent destruction, dévastation et mort. Nous avons des rêves; nous aimons travailler dur pour atteindre nos objectifs et concrétiser nos ambitions.

Nous ne voulons pas vivre dans la peur, guerre après guerre, et nous ne voulons pas voir nos maisons détruites. Nous ne voulons pas recommencer chaque fois de zéro en pleurant nos morts. Nous voulons évoluer, progresser et prospérer. Nous voulons que nos enfants grandissent dans des conditions qui leur permettent d’atteindre leurs objectifs, de réaliser leurs rêves et de s’épanouir selon leurs aspirations.

Je n’ai qu’un souhait, et il n’a rien d’extravagant : vivre en paix et en sécurité avec ma famille et mes proches. Tout comme vous, nous aspirons à une existence sereine où la mort et la guerre ne viennent pas hanter nos rêves.

J’aimerais de tout cœur que ce conflit se termine aujourd’hui pour nous préserver des inévitables horreurs de demain.

Entendrez-vous mes paroles?

Entendrez-vous la voix de toutes les femmes et de toutes les mères de Gaza?

Le travail de CARE à Gaza et en Cisjordanie

CARE International est présent à Gaza et en Cisjordanie depuis 1948. Avant le conflit en cours, nous apportions notre soutien à environ 200 000 Palestiniennes et Palestiniens à Gaza. Nous aidons toujours à satisfaire les besoins alimentaires de près de 300 000 personnes en Cisjordanie. De plus, nous contribuons à améliorer les pratiques agricoles, à favoriser l’autonomisation économique et le leadership des femmes, et à perfectionner les programmes axés sur la prévention des violences sexistes, la santé sexuelle et reproductive ainsi que la santé mentale des enfants.

Depuis l’escalade du conflit, l’équipe de CARE à Gaza et ses partenaires ont pu distribuer des trousses d’hygiène, des abris, des couvertures, des matelas et de l’eau potable à plus de 91 000 personnes déplacées. CARE a également offert une aide médicale, y compris des médicaments, des fournitures et des soins de santé primaires, à au moins 60 000 personnes.

Votre aide est indispensable afin de secourir les populations touchées par ce conflit.