Ukraine : quand des émojis sauvent la vie des personnes malentendantes

Par Sarah Easter, responsable des communications sur les situations d’urgence, CARE Allemagne et CARE Autriche

« Heureusement que j’arrive à entendre les déflagrations les plus fortes et les plus proches. Un jour, ça pourrait nous sauver la vie. »

Lena et tous les membres de sa famille souffrent d’une déficience auditive – son père est totalement sourd.

Le son produit par une explosion indique sa proximité et donc le comportement à adopter pour survivre : courir, se cacher ou se plaquer au sol. En Ukraine, c’est un principe que chaque enfant, chaque parent et chaque grand-parent ne connaît que trop bien. Mais comment se protéger quand on n’est pas à même d’entendre les détonations?

« Les personnes qui entendent un peu, sentent des vibrations ou voient de la fumée envoient un émoji de bombe ou un simple “boum!” aux autres membres de notre groupe de clavardage. Tout le monde sait alors qu’il faut se mettre immédiatement à l’abri », explique Lena, responsable locale d’une association d’environ 60 personnes malentendantes à Pokrovsk, dans l’est de l’Ukraine.

Elle poursuit : « Des détonations étouffées et lointaines annoncent le largage de nouveaux missiles. Et, en général, les tirs se rapprochent de plus en plus. Mais il est impossible pour nous d’entendre les explosions les plus éloignées. C’est pourquoi nos voisins nous aident et nous disent quand aller nous cacher. »

En cas de coup au moral, Lena sait qu’elle peut compter sur le soutien de son amie Sviatlana. Elle aussi malentendante, elle est équipée d’un appareil auditif qu’elle doit retirer la nuit.

« Certains me disent que je ne connais pas ma chance d’échapper à ces traumatismes sonores et à la terreur qui les accompagne. Pourtant, ma frayeur est décuplée, car je sais que je ne peux pas aller me cacher aussi vite que les autres », confie-t-elle.

Certains membres de l’association ont des chiens qui les alertent en cas d’explosion.

« Ils deviennent complètement fous, tournent en rond et aboient à tout rompre. C’est le signe qu’on doit se mettre à l’abri », indique Lena.

Une femme vêtue d’un manteau d’hiver se tient devant un centre communautaire.
Lena
Une femme est assise sur un banc, à l’intérieur du centre communautaire.
Sviatlana

Depuis le début de l’année, les frappes aériennes se sont intensifiées.

« Chaque nuit qui passe est un nouvel enfer », lâche Lena, interrompue par l’émotion. Sviatlana lui prend la main et continue : « On a tellement peur pour nos enfants, mais partir coûte cher. Compte tenu de nos faibles revenus, c’est impossible. »

Comme beaucoup de personnes malentendantes, Lena a perdu son emploi dès l’escalade du conflit, il y a deux ans. Mais trouver du travail pendant la guerre relève du tour de force. Durant les premiers mois de combats, près de 5 millions de personnes ont perdu leur emploi en Ukraine en raison de la destruction ou de la mise à l’arrêt de nombreuses entreprises. 

« J’ai essayé de trouver du travail, mais ma fille Sofya m’a demandé de rester à la maison. Elle a vraiment très peur quand je sors », raconte Lena.

Comme elle ne peut pas entendre les missiles approcher, il est particulièrement risqué pour Lena de quitter la maison. 

 

« En cas d’explosion, il faut tout de suite se jeter au sol pour protéger ses membres. Mais que faire quand on n’entend pas les roquettes arriver? »

– Lena

Sans revenu stable, Lena dispose uniquement de la maigre retraite de ses parents pour survivre avec sa famille. Elle essaie donc de vendre tout ce qui lui paraît superflu afin de subvenir aux dépenses essentielles.

« Je mets en vente les affaires qu’on ne pourra pas emporter avec nous en cas d’évacuation forcée, comme notre laveuse ou notre télévision », précise-t-elle.

Le dernier objet que Lena a dû sacrifier, c’est la paire de chaussures de sport de Sofya. Elle a utilisé l’argent obtenu pour acheter du beurre, des produits de boulangerie frais et un hot-dog pour sa fille.

« Elle faisait de la course à l’école, mais ce n’est plus d’actualité. En temps de guerre, ses chaussures de sport ne lui servent à rien, minimise-t-elle avec pudeur. On fait des économies sur tout, mais ça ne suffit pas. Heureusement, mes parents cultivent dans notre jardin quelques pommes de terre et quelques tomates pour notre consommation personnelle. »

« C’est pour ça que toute aide humanitaire est la bienvenue et qu’on en est reconnaissantes, ajoute Sviatlana. On a par exemple reçu une trousse d’hygiène. Elle contenait des produits normalement très chers, et aussi très utiles. »

C’est l’un des organismes partenaires de CARE qui a assuré la distribution de ces trousses. Elles comprenaient des serviettes, du papier hygiénique, du dentifrice, du gel douche, du savon, des lingettes, des éponges et du détergent.

« On a essayé de les utiliser avec une extrême parcimonie pour que les produits durent le plus longtemps possible, souligne Sviatlana. On doit aussi économiser l’eau parce que la demande est trop forte. Le réseau du quartier n’est alimenté que trois jours par semaine. On a donc des bouteilles, des casseroles et des seaux remplis d’eau un peu partout dans l’appartement. »

Serrant de nouveau la main de Lena dans la sienne, Sviatlana conclut : « Il faudrait se soucier davantage du sort des personnes malentendantes dans cette guerre, car il est très difficile pour nous de survivre. »

Quelle est l’action de CARE et de ses partenaires en Ukraine et dans les pays voisins?

Au cours des 2 dernières années, CARE et ses partenaires locaux ont fourni une aide vitale et des produits de base à plus de 1,2 million de personnes. Dans les premiers temps, notre mission consistait surtout à trouver un toit aux personnes déplacées à l’intérieur du pays et à répondre à leurs besoins fondamentaux. Aujourd’hui, CARE déploie de plus en plus d’efforts pour proposer un soutien psychologique à la population, lutter contre les violences sexistes ou liées au conflit, remettre les logements en état, rétablir les services essentiels et renforcer le leadership des femmes dans les situations d’urgence.  

Grâce à votre générosité, nous pourrons offrir aux personnes en situation de crise des produits de première nécessité ainsi que les moyens de reconstruire leur vie.