Ramadan à Gaza : des lumières dans l’obscurité, dans l’ombre de la faim et de la guerre

C’est le mois sacré du ramadan pour 1,6 milliard de musulmans dans le monde. Le ramadan est une période de jeûne, de partage, de prière et de réflexion. On se réunit en famille pour rompre le jeûne à la fin de la journée, à la lueur des lampions ornant les maisons et les rues. Pour la gens de Gaza, ce ramadan est le plus difficile de leur vie. On estime à 2,3 millions le nombre de personnes menacées par la famine; 80 % d’entre elles ont dû fuir à plusieurs reprises pour se mettre à l’abri des bombardements incessants. Plus de 60 % des habitantes et habitants n’ont plus de toit puisque leur foyer n’est qu’amas de décombres. Plus de 100 000 personnes ont été tuées ou gravement blessées. CARE a recueilli quelques réflexions de personnes vivant dans des tentes à Rafah. Que représente le ramadan pour elles? En quoi ce mois sacré est-il différent des précédents? Quel est leur plus grand souhait à l’occasion de cette période spéciale?

Tous les noms ont été modifiés pour des raisons de sécurité. Crédit pour toutes les photos : Yousef Ruzzi/CARE

A woman attaches a homemade banner to a tent in a displaced persons camp.

« Je crains que le ramadan n’entraîne de nouvelles effusions de sang. Je crains que cette guerre ne se termine jamais. »

Lara est mère de six enfants. Toutes ses prières sont dirigées vers les petits qui meurent de faim et ceux qui ont perdu leurs parents.

« Avant le 7 octobre, notre vie était paisible. Aujourd’hui, elle est remplie de peur, d’horreur, de labeur et d’inconfort. Depuis octobre, nous avons logé dans différents abris et lieux. Ici, à Rafah, nous vivons dans une tente. Je passe mes journées à parcourir des kilomètres pour remplir les bouteilles d’eau de mes enfants. Chaque jour, je crains de ne pas pouvoir nourrir mes petits. Les prix se sont envolés et beaucoup d’aliments nutritifs dont les enfants ont besoin sont tout simplement introuvables. Le mois du ramadan est très spécial pour moi. C’est habituellement une période de sérénité, d’adoration et de joie. La guerre a tout fait basculer. J’ai peur de l’invasion terrestre annoncée pendant le ramadan. Je crains que cette guerre ne finisse jamais, que nous devions toujours vivre dans ces horribles conditions. En général, pendant le ramadan, on décore notre maison. On sort la belle vaisselle et on en profite pour faire un grand ménage. Maintenant, on n’a plus de maison à décorer ni à nettoyer. On vivote sous une tente parce que notre maison est détruite. Les familles ne peuvent plus se retrouver au grand complet, car beaucoup de leurs membres sont morts. Je ne peux pas m’empêcher de songer constamment à celles et ceux que nous avons perdus. Je pense aux enfants dans le nord de Gaza qui ont tellement faim qu’ils meurent d’inanition. Mon plus grand souhait, c’est que les choses changent pour le mieux et que les gens se sentent à nouveau en sécurité. Il faut mettre fin à cette guerre. Trop, c’est trop! On ne veut plus subir d’autres pertes. On ne veut plus voir la mort à chaque détour. Plus que tout, je prie pour les enfants qui ont faim, pour ceux qui ont perdu père et mère, et pour ceux qui vivent dans l’incertitude d’avoir toujours des parents. »

A man holds a baby inside a tent and put up small strings of coloured lights

« Je veux que mes enfants se sentent en sécurité et heureux pendant ce ramadan. »

Fayçal vit avec sa femme, ses deux fils et ses deux filles.

« Ces cinq derniers mois, nous avons vécu dans la peur et l’horreur. L’endroit où nous nous abritons, à Rafah, est considéré comme le plus sûr de la bande de Gaza. Mais c’est une sécurité fort relative. Aucun endroit de Gaza n’est sûr. Il y a des bombardements et des tirs d’artillerie en permanence. Je ne peux plus travailler pour subvenir aux besoins de ma famille. Les prix, même pour les choses les plus élémentaires, sont très élevés. Avant que tout bascule, notre vie était normale, simple. Nous mangions à notre faim et nous passions de bons moments en famille. Aujourd’hui, nous vivons dans une autre réalité. Nous ne pouvons pas retourner à Khan Younis, même si j’aimerais vraiment vérifier que notre maison tient toujours debout et récupérer quelques affaires qui nous sont chères. Si je m’y risquais, je ne reviendrais probablement jamais. Mes enfants sont encore très jeunes. Ils sont effrayés quand je ne suis pas à leurs côtés, alors j’essaie de ne jamais m’éloigner d’eux. Pendant le ramadan, je jeûne, je prie et j’adore Dieu. Normalement, pendant le ramadan, j’achète de la bonne nourriture et des vêtements pour mes enfants. Il n’y a rien de plus important pour moi que de m’assurer que mes enfants survivent à ce cauchemar. C’est difficile, car ils me demandent certaines choses, comme des cornichons ou des katayef (dessert du ramadan, qui ressemble à une crêpe). Toutefois, les prix sont si élevés que je ne peux pas leur donner ce qu’ils réclament. J’aimerais aller à la mosquée et prier, mais c’est trop dangereux. Mon plus grand espoir, c’est que nous puissions rentrer chez nous, vivre dans la dignité et à nouveau manger des aliments frais et sains. J’aimerais que mes enfants puissent apprécier ce ramadan d’une manière ou d’une autre, de sorte que, dans leur mémoire, il ne soit pas très différent de ceux des années précédentes. Je veux qu’ils se sentent bien et en sécurité. »

A man attaches a homemade banner to a tent in a displaced persons camp.

« Je me sens mort à l’intérieur. Tout ce que je veux, c’est vivre en paix. »

Ali souhaite que tout le monde puisse rentrer chez soi. Il aimerait ne pas être constamment confronté au deuil.

« J’ai 65 ans, mais j’ai l’impression d’être déjà mort. On a été déplacés trois fois et on vit maintenant sous des tentes à Rafah. Chaque soir, au moment de se coucher, on se demande si cette nuit sera paisible. Chaque matin, au réveil, on se demande si on est encore en vie. On ne va pas bien, ni psychologiquement ni physiquement. Tout est difficile. Le mois du ramadan est généralement placé sous le signe de la générosité, de la compassion, de la famille et des prières. Pendant la journée, on travaille, on prie, on va à la mosquée; le soir, on rompt le jeûne, l’iftar, avec les amis et la famille. Le ramadan, c’est l’histoire de nos foyers et de nos familles. Mais nous sommes nombreux à avoir perdu un être cher, et la plupart d’entre nous n’ont pas de maison où retourner. Vivre sous une tente, au milieu d’étrangers, dans un camp bondé, est difficile. Chaque jour, il faut aller chercher et transporter de l’eau. Ici, tout ce qui fait le sel de la vie manque. Il n’y a ni tranquillité d’esprit ni soulagement. On s’attend constamment à ce que nos souffrances s’aggravent. Le sentiment de perte et la mort sont omniprésents. Le quotidien s’égrène, ponctué par les échos de membres de la famille et d’amis proches disparus. De chaque tente, on entend les gémissements de personnes blessées et souffrantes. Où trouver la tranquillité d’esprit nécessaire pour vivre à peu près normalement? Mon plus grand souhait pour ce ramadan, c’est que nous puissions retourner dans nos maisons, même si elles sont détruites. Je veux que tout le monde puisse vivre en paix. »

A woman attaches a homemade banner to a tent in a displaced persons camp.

« Je me suis mariée juste avant le début de la guerre. Maintenant, tous mes rêves de vie heureuse ont été détruits. »

Fairouz aimerait entendre à nouveau les rires de ses sœurs et se sentir en sécurité.

« Juste avant le début de la guerre, mon fiancé et moi nous sommes mariés. Ma vie me semblait remplie de promesses. Mon mari et moi avions l’intention de fonder une famille en emménageant dans une nouvelle maison. J’avais tellement de rêves! Mais ils se sont soudainement évanouis. Nous vivons maintenant dans une tente. J’avais hâte de faire mon premier ramadan avec mon mari, de préparer de la nourriture pour tout le monde et de rassembler nos proches. Aujourd’hui, la seule chose qu’on peut faire, c’est jeûner. C’est tout. Sinon, c’est une journée horrible comme toutes les autres, que nous passons dans notre tente au milieu d’un camp de personnes déplacées. C’est difficile. Nous sommes toujours malades en raison des conditions d’hygiène déplorables. Il n’y a pas d’intimité pour moi en tant que femme, surtout dans les salles de bain. J’ai presque tout perdu : ma vie, mon travail, ma sécurité. Plus que tout, je veux un endroit où je puisse me sentir en sécurité. J’aimerais pouvoir me réunir avec mes sœurs et entendre à nouveau leurs rires. Je me sens prise au piège. J’ai l’impression que je ne réalise que maintenant, au moment de faire le bilan de ce tout ce que j’ai perdu, de la chance que j’ai eue malgré tout.

J’aimerais pouvoir retourner à la vie que nous connaissions : à mon travail, aux réunions avec notre famille et nos amis, à nos maisons. Je veux me sentir à nouveau en sécurité. »

CARE Cisjordanie et Gaza travaille avec des partenaires locaux et fait partie des quelques organismes humanitaires qui s’approvisionnent dans la région. Les besoins sont criants et il est essentiel que l’aide puisse être acheminée en toute sécurité à Gaza. En savoir plus.

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