Être travailleuse humanitaire en Syrie : « Le cœur et l’âme des Syriennes sont intacts »

Affectées de manière disproportionnée par les crises, les femmes continuent tout de même de jouer un rôle crucial dans les efforts pour trouver des solutions durables aux effets cumulatifs de ces situations.

Chez CARE, dans nos organismes partenaires ou dans les communautés du monde entier, les travailleuses humanitaires viennent en aide aux femmes et amplifient leur voix dans la lutte pour bâtir un monde qui repose sur l’espoir, l’inclusion et la justice sociale.

Faites la rencontre de Sara* et laissez-vous inspirer par son formidable parcours!

 

*Prénom fictif pour protéger l’identité de Sara.

 

Sara : «Le cœur et l’âme des Syriennes sont intacts»

Sara* est directrice adjointe, Intervention rapide, pour CARE en Syrie. Elle coordonne l’aide apportée aux milliers de personnes profondément affectées par le conflit en Syrie, qui fait rage depuis 12 ans, qu’il s’agisse de produits de première nécessité comme de la nourriture ou de soutien aux survivantes de violences fondées sur le genre. Sara nous parle de certains des défis auxquels se heurtent les femmes qui vivent dans une zone de conflit actif où les croyances et les pratiques culturelles sont restrictives. Syrienne d’origine, elle nous fait également part de ses souhaits pour toutes les femmes et les jeunes filles du pays.

A woman sits at a table holding at a document while another women stands and adds her thumbprint to the document.
Sara inscrit une participante à un programme d’aide financière mené dans le nord-est de la Syrie.

Qu’est-ce qui vous a incitée à devenir travailleuse humanitaire?

En 2015, j’ai visité pour la première fois une région touchée par le conflit en Syrie : Tall Hamis, située dans le nord-est du pays. Jamais je n’aurais pu me préparer à ce que j’ai vu. J’étais sous le choc. Les frappes aériennes avaient dévasté la région. Les gens avaient rebâti leur maison avec de la boue, sans portes et sans fenêtres, et sans accès à des infrastructures. Ils vivaient dans une souffrance insupportable.

Je me suis alors rendu compte que les efforts individuels étaient loin de suffire. Comme le dit un ancien proverbe arabe : « Une seule main ne peut applaudir. » Opérer un changement requiert un effort collectif. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de consacrer ma vie au travail humanitaire.

Quels sont les défis et les satisfactions du travail humanitaire comme femme?

Par ses circonstances, le travail humanitaire est très différent de la majorité des autres professions. Les urgences n’ont pas lieu pendant les « heures de bureau ». Nous devons être prêts à intervenir à toute heure du jour et de la nuit. Et le contexte de chaque intervention change constamment lui aussi. Nous sommes formés à faire face aux divers risques physiques et psychologiques qui sont inévitables en zone de conflit, mais souvent, nous ne savons ce qui nous attend.

En plus de ces difficultés, communes à tous les travailleurs humanitaires, les femmes ont des défis supplémentaires à surmonter. Dans certaines communautés, les normes culturelles peuvent causer de la méfiance, voire du mépris. Nous devons souvent adapter nos vêtements, nos comportements et même notre langage pour être acceptées dans certains contextes.

Si cela peut être frustrant par moment, il est incroyablement gratifiant de parvenir à tisser des liens avec le temps et de faire naître une vague de changements positifs. Et en surmontant ces défis, les travailleuses humanitaires peuvent consolider leur influence et leur leadership. Par l’exemple, les travailleuses humanitaires donnent aux femmes des communautés avec lesquelles nous travaillons le sentiment qu’elles peuvent acquérir plus d’indépendance et lutter pour leurs droits. Lorsque les femmes peuvent étudier, travailler et montrer la voie, c’est toute la communauté qui en profite.

Avez-vous des modèles dans le milieu humanitaire?

Mère Teresa était ma source d’inspiration à mes débuts. J’admirais énormément sa capacité à apporter une aide considérable avec si peu de moyens. Elle sera toujours un modèle pour moi, mais aujourd’hui, mon inspiration me vient surtout de la force et de la résilience formidables des survivantes avec lesquelles je travaille. Le courage dont elles font preuve en racontant leur histoire et leur détermination malgré les épreuves me motivent au quotidien.

 

« Mon inspiration me vient surtout de la force et de la résilience formidables des survivantes avec lesquelles je travaille. Le courage dont elles font preuve en racontant leur histoire et leur détermination malgré les épreuves me motivent au quotidien.  »

– Sara

Quels sont les moments de votre carrière dont vous êtes particulièrement fière?

Chaque relation créée et chaque aide apportée, aussi petite soit-elle, est une source de fierté. J’aime pouvoir aider les gens dans le besoin. En retour, j’apprends beaucoup d’eux et je reçois leur affection et leur confiance.

Parfois, on ne se rend pas compte de la portée que le travail humanitaire peut avoir sur toutes les personnes concernées. Hussein (nom fictif) vivait dans un camp pour personnes déplacées à l’intérieur du territoire. En plus de participer à l’un de nos programmes, il nous aidait avec la distribution alimentaire. Puis, il s’est installé dans une autre ville et nous avons perdu contact. Quelques années plus tard, alors que je travaillais ailleurs, je suis tombée sur Hussein. Il était très heureux de me voir et m’a dit qu’il était récemment devenu papa d’une petite fille portant mon nom. Cet honneur m’a beaucoup touchée et surprise.

Or je n’aurais pas dû être surprise à ce point, car d’autres personnes ne savent pas, elles non plus, l’incidence qu’elles ont eue sur ma vie. Amina est l’une de ces personnes. En raison du conflit, elle a dû fuir sa maison avec ses quatre enfants. Une bombe l’a rendue handicapée et a tué son mari, faisant d’elle l’unique soutien de famille. Malgré ces terribles épreuves, auxquelles s’ajoutent les normes culturelles qui empêchent les Syriennes de travailler, Amina a toujours été capable de trouver du travail et d’obtenir de l’aide financière pour améliorer sa ferme. Rien ne peut l’empêcher de bâtir un avenir à ses enfants. Sa force, sa résilience et son ingéniosité à trouver des solutions m’interpellent aujourd’hui encore.

Quel sens le travail humanitaire donne-t-il à votre vie?

Pour moi, c’est une façon de donner corps à mon humanité, chaque instant de chaque jour. La technologie a désensibilisé beaucoup de gens à la souffrance : le fait de la voir constamment à la télévision ou sur l’ordinateur ou le téléphone a en quelque sorte normalisé la violence, les conflits et la destruction.

Les travailleuses et travailleurs humanitaires sont directement témoins de cette souffrance. Nous renouons avec notre empathie et notre compassion, parfois perdues.

Faire du travail humanitaire, c’est aussi devenir plus fort au fil des apprentissages. Je vois des gens faire preuve d’ingéniosité et de résilience pour trouver des solutions à des problèmes très graves dans des circonstances tragiques. Cela me rend moi aussi plus forte et indépendante. Je suis honorée de passer mes journées auprès des gens à qui nous venons en aide et en particulier auprès des survivantes et survivants.

Que souhaitez-vous pour les femmes et les jeunes filles de la Syrie?

Avant la guerre, 75 % des femmes étaient instruites et jouissaient d’une grande indépendance. Dix ans plus tard, la situation est catastrophique. C’est toute une génération qui n’a pu se scolariser, faisant monter en flèche les taux d’analphabétisme et réduisant les possibilités économiques.

Je veux que les femmes retrouvent ce qu’elles avaient, ce qui leur revient. Je veux que les cicatrices s’estompent et qu’elles reprennent leurs droits.

Comme l’a si bien dit le poète syrien Nizar Kabbani : « À la guerre, tout se répare : les avions, les chars d’assaut et les jeeps transportant les soldats. Tout sauf l’âme, qu’on ne peut recoller, et le cœur, qu’on ne peut rapiécer. » [Traduction libre]

Notre cœur et notre âme à nous, les Syriennes, sont intacts. Nous pouvons recouvrer nos droits. Et nous le ferons.

Les femmes comme Sara sauvent des vies et soutiennent leur communauté. Aidez-les à bâtir un monde meilleur pour toutes et tous.