Syrie : « En ma qualité de médecin, j’observe depuis les séismes une situation absolument inédite sur le terrain »

La Dre Dima Um Nour est gynécologue au pôle mère-enfant de l’Hôpital Al-Amal. Cet établissement, situé à Azaz, dans le gouvernorat d’Alep, au nord-ouest de la Syrie, est géré par Violet – un organisme humanitaire syrien – et soutenu par CARE. Depuis plus de trois ans, la Dre Um Nour déploie toute son énergie au service des femmes enceintes qui viennent la consulter à l’hôpital. Elle nous livre son précieux témoignage sur la situation actuelle et nous dévoile l’incidence des récents séismes dévastateurs sur ses patientes.

Ma journée de travail démarre à 8 h 30, mais déjà, des patientes m’attendent dans le hall de l’hôpital. Mes collègues et moi recevons des femmes enceintes qui viennent pour faire des examens gynécologiques et un bilan de santé de routine ou qui sont sur le point d’accoucher. Nous accueillons également des patientes sans rendez-vous et assurons des services d’urgence.

Chaque jour, je reçois entre 65 et 75 femmes en consultation. La plupart d’entre elles viennent d’Azaz ainsi que des villages et camps environnants. Il faut savoir que la population d’Azaz se compose à 78 % de personnes déplacées à l’intérieur du territoire syrien. La plupart des femmes, des enfants et des nouveau-nés que l’on accueille ici ont donc perdu à plusieurs reprises leur maison et leur stabilité en raison du conflit et, plus récemment, des séismesCes familles vivent dans des campements de fortune, des usines ou des fermes abandonnées, ou des logements surpeuplés. Il n’est parfois pas plus enviable d’habiter dans une maison que dans une tente au sein d’un camp. En effet, les personnes qui disposent d’un logement doivent généralement le partager avec quatre ou cinq autres familles. Toutes s’entassent dans un même espace, sans accès à l’eau potable, aux installations sanitaires et aux articles d’hygiène de base. D’ailleurs, pour la majeure partie de la population du nord-ouest de la Syrie, c’est désormais un luxe d’avoir l’eau potable et de pouvoir se procurer du savon, des serviettes hygiéniques ou d’autres produits essentiels. Dans ce contexte particulièrement sombre, et plus encore depuis les séismes, la propagation du choléra et d’autres maladies infectieuses est au cœur de toutes les préoccupations. Un tel scénario constituerait une menace directe pour la vie des femmes enceintes.

Beaucoup de mes patientes ont vraiment du mal à joindre les deux bouts. Souvent, lorsque je leur prescris un médicament ou un examen médical, je les entends me dire : « Est-ce que j’en ai réellement besoin? » Elles n’ont tout simplement pas les moyens d’assumer ces frais supplémentaires. La majorité d’entre elles ne savent ni lire ni écrire, ce qui mine leur vie et leurs activités quotidiennes. Par exemple, lorsque je demande à mes patientes enceintes de surveiller leur poids, certaines me répondent qu’elles ne sont pas capables de le lire. Imaginez aussi que la plupart d’entre elles n’ont jamais été vaccinées.

La situation dans le nord-ouest de la Syrie était déjà difficile avant les tremblements de terre, mais aujourd’hui, la vie s’est transformée en véritable cauchemar. Beaucoup ont perdu ce qu’ils avaient réussi à reconstruire. Privés de leur maison et de leurs biens, ils sont ballottés d’un bout à l’autre du pays et pleurent le décès de leurs proches et de leurs amis. Celles et ceux qui ont pu trouver un logement doivent renouer avec la vie sous les tentes, et sont à la merci des éléments – une tempête a d’ailleurs balayé la région il y a peu. En outre, la population ne dispose que d’un accès limité aux produits de première nécessité, comme l’eau potable et la nourriture. Personne n’est épargné. Et en ma qualité de médecin, j’observe depuis les séismes une situation absolument inédite sur le terrain. 

A woman wearing a mask and a white coat sits at an ultrasound machine. Another woman in a white coat stands beside her
La Dre Um Nour est gynécologue au pôle mère-enfant de l’Hôpital Al-Amal. Cet établissement situé à Azaz, dans le gouvernorat d’Alep, au nord-ouest de la Syrie, est géré par Violet – un organisme humanitaire syrien – et soutenu par CARE. Crédit : Violet et CARE

J’ai repris le travail tout de suite après les tremblements de terre. Des patientes enceintes ont alors commencé à se présenter à leur rendez-vous ou à nous consulter pour des complications consécutives aux séismes.

Avant les tremblements de terre, on recensait en moyenne deux fausses couches par semaine à l’Hôpital Al-Amal. Désormais, ce chiffre est passé à quatre par jour. Il s’agit parfois de fausses couches tardives, c’est-à-dire qui surviennent après le septième mois de grossesse. 

Je me souviens du cas d’une femme qui devait bientôt accoucher et était enceinte de plus de huit mois. Elle est venue pour un examen de routine juste après les tremblements de terre. Mais lors de l’échographie, on s’est rendu compte que le cœur de son enfant ne battait plus. C’était un véritable drame. Une autre patiente, enceinte de triplés, a perdu ses trois bébés. On l’a reçue en consultation un certain temps après les séismes, mais d’après nos estimations, la fausse couche remontait au jour des tremblements de terre ou au lendemain.

On observe également une hausse tragique du taux de mortalité à la naissance, qui a été multiplié par trois, et un boom des naissances prématurées. Elles ont en effet bondi de 10 à 12 % depuis les séismes. Aujourd’hui, ce sont donc 3 femmes sur 10 qui accouchent prématurément à l’Hôpital Al-Amal.   

Presque toutes les femmes admises ici ont désormais besoin de soins de santé mentale et d’un soutien psychosocial. Je dois donc adresser quasiment chacune de mes patientes à mes collègues du service de santé mentale. Certaines d’entre elles présentent des symptômes psychophysiques assez courants, comme des perturbations du cycle menstruel, des éruptions cutanées, des insomnies et des troubles du sommeil liés au stress et à l’anxiété, mais d’autres souffrent de problèmes extrêmement graves. Des femmes enceintes nous indiquent parfois avoir des pensées suicidaires.

Les tremblements de terre, associés aux conditions de vie insalubres et au manque d’hygiène, d’eau potable et de nourriture, ont contribué à une détérioration de la santé générale – et aussi mentale – de la population du nord-ouest de la Syrie. Jour après jour, le nombre croissant de cas de choléra fait craindre l’imminence d’une épidémie. Heureusement, les mesures strictes de désinfection et d’assainissement mises en place sont pour le moment efficaces, mais la situation pourrait basculer d’un instant à l’autre.

Pourtant, j’essaie de voir le bon côté des choses envers et contre tout. Chaque bébé et chaque nouvel accouchement réussi m’incitent à l’optimisme. Il faut continuer à se retrousser les manches, à donner de l’espoir et à tendre la main pour que les gens puissent se relever et reconstruire leur vie. Je lance d’ailleurs un message au monde : poursuivez votre élan en faveur du peuple syrien! Nous avons besoin de médicaments, d’équipement médical et d’outils pour rebâtir nos maisons et retrouver nos moyens de subsistance. Il est également urgent d’investir dans l’éducation pour venir en aide à nos enfants. C’est sur eux que repose notre avenir.

 

« J’essaie de voir le bon côté des choses envers et contre tout. Chaque bébé et chaque nouvel accouchement réussi m’incitent à l’optimisme. »

– DRE Dima Um Nour

Apportez votre soutien aux patientes et aux professionnelles de la santé du monde entier qui, comme la Dre Um Nour, offrent une aide vitale aux populations. 

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